Louis-Marie
Grignion de Montfort…

 

 

Seule, la grâce obtenue par la prière et une vie vraiment chrétienne lui apparaissent comme le remède à cette désolante situation.
Voilà notre donc Aumônier qui rêve à un groupe de femmes pieuses, capable de remonter le courant de l'égoïsme et du désordre.
Mais où les prendre ?
Parmi les pauvres pensionnaires elles-mêmes, et c'est ainsi qu'il réunit quelques malheureuses, infirmes, malades, pauvres par le corps et les forces, mais riches d'une belle âme.
A leur tête, comme Supérieure, il met une aveugle…
Il leur fait donner une petite salle de réunion, et cloue sur la porte un écriteau : « Sagesse ».
Depuis longtemps, en effet, les études et les méditations de Louis-Marie l'ont amené à approfondir cette vérité que Jésus, Fils de Dieu, c'est la sagesse éternelle qui s'est incarnée.
Il honore de plus en plus Notre-Dame, et il le fera de plus en plus désormais comme « Mère de la Sagesse ».
Voici donc cette première association de la « Sagesse », association de ce que l'on pourrait appeler le « rebut de la société » si on la regardait avec des yeux non chrétiens. Autour de lui, on ne se prive pas de sourire, narquoisement, ou même de se gausser ouvertement : « Où veut-il en venir avec ces quelques malheureuses conduites par une aveugle ? »
Lui, ne se démonte pas : il a l'habitude, et il sait que Dieu a toujours choisi les plus humbles, pour accomplir de grandes choses -et que le sacrifice de Jésus est une "folie" aux yeux du monde…

La chapelle de l'hôpital servait d'Eglise aux habitants du quartier. Et l'on se répétait bientôt, au coin des rues, que l'Aumônier faisait de magnifiques sermons.
Un certain jour, Elisabeth Trichet, fille du Procureur de Poitiers revient enthousiasmée chez elle, et déclare à sa sœur Marie-Louise :
– « Quel beau sermon je viens d'entendre ! Ce prédicateur est un saint. »
– Marie-Louise dresse l'oreille : appelée par Dieu depuis longtemps, il rencontre des difficultés pour répondre à cet appel. Et si elle allait trouver ce prêtre ?

La voilà à genoux, dans l'ombre du confessionnal, un peu tremblante, qui commence sa confession.
Mais Montfort l'interrompt :
– « Ma fille, qui vous a adressée à moi ?
– « Mon père, c'est ma sœur… »
– « Non, ce n'est pas votre sœur, c'est la sainte Vierge. »
Et Marie-Louise se sent à l'instant même, en pleine confiance avec ce prêtre qui trouvera en cette jeune fille une âme bien trempée dont il fera la fondatrice des « Filles de la Sagesse ».

Depuis longtemps, elle veut rentrer au couvent : quelle vienne donc d'abord, servir les pauvres à l'hôpital !
Elle y vient, s'y installe bientôt, et le prêtre la mène fermement dans les voix de la sainteté. Travail répugnant, humiliation, privation, souffrances de toutes sortes, rien ne manquera à Marie-Louise pour être formée comme l'entend Monsieur de Montfort.
Il l'associera d'abord, elle, de famille bourgeoise, au groupe de pauvres infirmes qu'il a réuni et qu'elle servira en toute humilité.

Bientôt, il lui donnera un habit religieux, ce costume gris des Filles de la Sagesse, qu'elle sera seule à porter, sous la risée de tout le monde. Car, tandis que M. de Montfort quittera Poitiers, Marie-Louise restera fidèlement au poste qui lui a assigné, attendant l'heure de Dieu pour la congrégation souhaitée…
Toujours patiente et dévouée, sans jamais renoncer, elle restera dans un douloureux isolement au milieu de tous. Et cela durera 10 ans !…

Une telle force de caractère -une telle sainteté, a-t-on envie de dire- force l'admiration, et sont une explication sans doute, du merveilleux développement des « Filles de la Sagesse » qui sont aujourd'hui au nombre de 3 500 répandues aux quatre coins de la Terre et continuent de se dévouer aux pauvres, aux malades, et aux enfants, dans l'esprit de celle qui, la première, reçut et porta fièrement, seule, pendant 10 ans, cette « habit de couleur cendre » que Louis-Marie de Montfort lui imposa.

Louis-Marie doit bientôt retourner à Paris où sa sœur préférée, Louise-Guyonne a de gros ennuis : faute d'argent, elle ne peut plus rester dans la communauté religieuse où elle se trouve.
C'est l'été, et la route est bien dure sous le soleil brûlant. Comment aider sa chère sœur, il est si pauvre lui-même ?… A Paris, il frappe à bien des portes, sans succès, chacun se contentant de lui indiquer une autre personne, et il ne trouve même pas de quoi se nourrir lui-même… Jusqu'à ce qu'une bonne "Supérieure" lui fasse donner, chaque jour, « la part du pauvre » qu'on met toujours de côté dans ce couvent.

Très reconnaissant, il vient remercier humblement la "Supérieure" et rencontre à cette occasion, une personne dévouée qui veut bien s'intéresser à sa sœur et faciliter son entrée chez les bénédictines du Saint-Sacrement.
Le cœur soulagé, le prêtre peut reprendre la route de Poitiers. Il continuera de loin à s'occuper de sa sœur et lui écrira des lettres bien émouvantes. Mais il lui faut se hâter car on le réclame pourtant à l'hôpital, où malgré tout ce qu'on lui fait subir, son absence est douloureusement ressentie.

Il n'y restera pas longtemps, car les méchancetés, les calomnies reprennent bientôt. Le démon, jaloux du bien qu'accomplit ce saint, lui suscite toutes sortes de difficultés nouvelles. Il ose même -comme il le fera pour d'autres grandes âmes- s'attaquer directement à lui.
Plusieurs témoins le virent, en différentes circonstances, comme s'il était aux prises avec quelqu'un de très menaçant, et, on l'entendit, un jour, crier distinctement vers Notre-Dame :
– « Ô, sainte Vierge, ma bonne mère, venez à mon secours ! »

Il quitte donc, à nouveau, l'hôpital de Poitiers. Sa vocation d'ailleurs, il le sent de plus en plus, c'est de prêcher et d'instruire, au long des routes, sans jamais se fixer nulle part et longtemps.
Il remonte à Paris chercher conseil chez ses anciens Maîtres de Saint-Sulpice ; et c'est seulement par quelques lettres qu'il aidera de loin Marie-Louise Trichet à persévérer dans sa vocation.
Il retrouve un de ses deux amis, Claude Poullard-des-Places, qui vient d'ouvrir le « Séminaire des Pauvres Ecoliers. »

Louis-Marie essaie de le décider à s'unir à lui pour fonder la « Société de Missionnaires » dont il rêve. Claude ne s'y sent pas appelé mais promet de préparer, parmi ses élèves, de futurs compagnons pour Montfort.
A Saint-Sulpice où il rencontre son autre ami, Jean-Baptiste Blain, il n'obtient pas plus de succès. Un peu excédé par son originalité, son confesseur le reçoit d'une manière glaciale et l'humilie devant tous. Monsieur Blain qui aime très profondément Louis-Marie, en est navré et souffre fort pour lui.
Quant à notre Saint, « il soutient cette humiliation avec sa douceur et sa modestie ordinaire, et s'en retournera avec la même tranquillité qu'en venant, et un redoublement de ferveur… » C'est Jean-Baptiste Blain lui-même qui dépeint en ces phrases, l'attitude de Louis-Marie, et on y sent l'admiration sans borne qu'il professait à l'égard de son ami, le considérant depuis toujours comme un saint authentique.

Repoussé de ceux-là mêmes qui devraient l'aider et le conseiller, Louis-Marie se retourne vers Dieu.
Il comprend que ces désillusions sont un appel à une union plus étroite avec son Seigneur, « Dieu seul. » Ce n'est pas au hasard qu'il choisira cette devise. Toute sa vie, les événements et les Hommes sembleront se liguer contre lui… Il l'a compris et intensifie sa prière…

Dans un tout petit réduit qu'il occupe rue du Pot-de-Fer à Paris, il multiplie ses oraisons et ses pénitences.
Il laisse aussi déborder le trop-plein de son âme en des pages brûlantes. « L'amour de la Sagesse éternelle », premier ouvrage écrit par Louis-Marie, le fut, pense-t-on, dans cet obscur de la rue du Pot-de-Fer où il vécut quelque temps, critiqué et méprisé d'un grand nombre.
Certains pourtant, lui gardent leur confiance.
 

C'est ainsi qu'on lui demande -comme un service- d'aller partager, pour peu de temps, la vie d'un groupe d'ermites retirés au Mont-Valérien, afin de rétablir, si possible, une harmonie entre eux.
– « Son recueillement, son esprit d'oraison, sa ferveur étonnèrent ces Frères et les renouvela… » écrit Monsieur Blain à cette occasion.
La paix revient donc même temps que la charité… Le cœur en fête, Louis-Marie retourne dans son réduit de la rue du Pot-de-Fer tout peuplé de la présence de Dieu et de l'influence de Marie.

 
 
Louis-Marie
 
Grignion de Montfort…