les prophètes et la Bible…

 

 

Quand le Ciel parle…

…le Ciel pleure

 

le prophétisme…

   
   

A des degrés divers, et sous des formes variables, les grandes religions de l'Antiquité ont eu des inspirés qui prétendaient parler au nom de Dieu… Spécialement chez les peuples voisins d'Israël ; un cas d'extase prophétique est rapporté à Byblos au XIe siècle av. J.-C. Dans la forme et le contenu, leurs messages, adressés au roi, ressemblent à ceux des plus anciens prophètes d'Israël mentionnés dans la Bible. Celle-ci apporte elle-même son témoignage sur le voyant Balaam appelé Aram par le roi Moab et les 450 prophètes de Baal appelés par Jézabel la Tyrienne et confondus par Elie sur le Carmel. On en rapproche aussitôt les 400 prophètes consultés par Achab. Ils sont, comme les premiers, un groupe nombreux d'extatiques turbulents, mais ils parlent au nom de Yahvé. Bien que, en l'occurrence, leur prétention fût fausse, il est assuré que le Yahvisme ancien a reconnu comme légitime une telle institution. Des confréries d'inspirés apparaissent auprès de Samuel ; et, à l'époque d'Elie, des groupes de « frères prophètes » sont en relations avec Elisée et disparaissent ensuite, sauf une allusion en Am. Excités par la musique, ces prophètes étaient pris de transes collectives dont la contagion gagnait les assistants, ou bien ils mimaient des actions symboliques… De même, il arrive qu'une fois, qu'Elisée ait recours à la musique avant de prophétiser. Les actions symboliques, chez les prophètes, sont plus nombreuses : Ahiyya de Silo, mais aussi Isaïe, souvent Jérémie et surtout Ezéchiel.
Au cours de ces actions, ou en dehors, ils ont parfois des comportements étranges ; ils peuvent passer par des états psychologiques anormaux, mais ces manifestations extraordinaires ne sont jamais l'essentiel chez les prophètes dont la Bible a retenu l'action et les paroles. Ceux-ci se distinguent nettement des exaltés des anciennes confréries… Ils portent cependant le même nom : nabî. Le nabî serait celui qui est appelé ou bien celui qui annonce, et par l'un et l'autre sens, on atteint cette fois à l'essentiel du prophétisme israélite.
Le prophète est un messager et un interprète de la parole divine. Cela est exprimé nettement par les deux passages parallèles d'Ex : Aaron sera l'interprète de Moïse comme s'il était sa « bouche » ; Moïse sera « un Dieu pour Pharaon », et Aaron sera son « prophète ». A quoi fait écho le mot de Yahvé à Jérémie : « Je mets en ta bouche, mes paroles… » Les prophètes ont conscience de l'origine divine de leur message, ils l'introduisent par « Ainsi parle Yahvé » ou « Parole de Yahvé » ou « Oracle de Yahvé ». Cette parole qui leur est venue s'impose à eux et ils ne peuvent la taire ; Jérémie lutte en vain contre cette emprise. Un jour de leur vie, ils ont été appelés d'une manière irrésistible par Dieu, surtout, ils ont été choisis comme ses messagers, et le début de l'histoire de Jonas montrait ce qu'il en coûte de se dérober à cette mission. Ils ont été envoyés pour signifier la volonté de Dieu et pour être eux mêmes des signes. Non seulement leurs paroles, mais leurs actions, mais leur vie, tout est prophétie. Le mariage réel et malheureux d'Osée est un symbole… Isaïe doit se promener nu pour servir de présage, lui-même et ses enfants, sont des signes prodigieux ; l'existence de Jérémie est un enseignement et quand Ezéchiel exécute les ordres étranges de Dieu, il est un « signe pour la maison d'Israël »
Le message divin peut parvenir au prophète de bien des manières : dans une vision nocturne, par audition, mais le plus souvent, par une inspiration intérieure (c'est ainsi qu'on peut généralement entendre les formules : « La parole de Yahvé me fut adressée » ou « Parole de Yahvé à… ») tantôt à l'improviste, tantôt à l'occasion d'une circonstance banale : la vue d'un rameau d'amandier ou de deux paniers de figues ou une visite chez le potier.
Le message reçu est transmis par le prophète sous des modes également variés, dans des morceaux lyriques ou des récits en prose, en parabole, ou en clair, dans le style bref des oracles mais aussi en utilisant les formes littéraires de l'objurgation, de la diatribe, du sermon, des procès, des écrits de sagesse ou des psaumes culturels, des chants d'amour, de la satire, de la lamentation funèbre… Cette variété dans la réception et l'énoncé du message, dépend en grande partie du tempérament personnel et des dons naturels de chaque prophète, mais elle recouvre une identité foncière : tout vrai prophète a vivement conscience qu'il n'est qu'un instrument, que les mots qu'il profère sont à la fois siens et non siens. Il a la conviction inébranlable qu'il a reçu une parole de Dieu et qu'il doit la communiquer. Cette conviction est fondée sur l'expérience mystérieuse -disons mystique- d'un contact immédiat avec Dieu. Il arrive, comme on l'a dit, que cette emprise divine provoque extérieurement, des manifestations « anormales », mais ce n'est qu'un accident, comme chez les grands mystiques. Par contre, comme pour les mystiques encore, on doit affirmer que cette intervention de Dieu dans l'âme du prophète met celui-ci dans un état psychologique « supra-normal ». Le nier, serait abaisser l'esprit prophétique au rang de l'inspiration du poète…
Le message prophétique s'adresse rarement à un individu ou il le fait dans un contexte plus large. Il faut accepter le roi, qui est le chef du peuple : Natân avec David, Elie avec Achab, Isaïe auprès d'Achaz et d'Ezéchias, Jérémie auprès de Sédécias de même que le grand prêtre, chef de la communauté au retour de l'Exil, Za.
Mais, ces exceptions mises à part, ce qui distingue les grands prophètes dont nous avons conservé l'œuvre, de leurs prédécesseurs en Israël et de leurs analogues dans le milieu oriental, c'est que leur message s'adresse à tout le peuple. Dans tous les récits de vocation, c'est vers le peuple que le prophète est envoyé, vers tous les peuples même, dans le cas de Jérémie.
Son message concerne le présent et le futur. Le prophète est envoyé auprès de ses contemporains, il leur transmet les volontés divines. Mais dans la mesure où il est l'interprète de Dieu, il est au-dessus du temps, et ses « prédictions » viennent en confirmation et en prolongement de ses « Prédications ». Il peut annoncer un événement prochain comme un signe dont la réalisation justifiera ses paroles et sa mission ; il prévoit le châtiment comme la punition des fautes contre lesquelles il tonne, le salut comme la récompense de la conversion qu'il demande. Chez les prophètes plus récents, le voile peut se lever jusqu'aux derniers temps, jusqu'au triomphe final de Dieu, mais il en ressort toujours un enseignement pour le présent. Cependant, comme le prophète n'est qu'un instrument, le message qu'il délivre peut dépasser les circonstances où il est prononcé et la conscience même du prophète, il reste entouré de mystère jusqu'à ce que l'avenir l'explicite en le réalisant.
Jérémie est envoyé « pour exterminer et démolir, pour bâtir et planter ». Le message prophétique a une double face : il est sévère et consolant… Et sans doute il est souvent dur, plein de menaces et de reproches, au point que cette sévérité peut apparaître comme un signe de la vraie prophétie. C'est que le péché, obstacle aux desseins de Dieu, hante l'esprit du prophète… Mais les perspectives de salut n'ont jamais été fermées. Le livre de la Consolation est l'un des sommets de la prophétie et l'on n'est pas justifié à retrancher des prophètes plus anciens les annonces de joie qu'on trouve dans Am. Dans la conduite de Dieu à l'égard de son peuple, grâce et châtiment sont complémentaires.
Le prophète est envoyé auprès du peuple d'Israël, mais son horizon est plus vaste, comme la puissance de Dieu dont il annonce les œuvres. Les grands prophètes ont des groupes d'oracles contre les nations. Amos débute par des jugements contre les voisins d'Israël ; Abdias donne un oracle sur Edom ; de Nahum, nous n'avons qu'un oracle contre Ninive, et c'est là que Jonas est envoyé pour prêcher.
Le prophète est assuré de parler au nom de Dieu, mais comment ses auditeurs reconnaîtront-ils qu'il est prophète authentique ? Car il y a de faux prophètes qui paraissent souvent dans la Bible. Ils peuvent être des sincères qui s'illusionnent ou ils peuvent être des simulateurs, mais leur comportement ne les distingue pas des vrais prophètes. Ils trompent le peuple, et les vrais prophètes doivent polémiquer contre eux, Michée ben Yimla contre les prophètes d'Achab, Jérémie contre Hananya et contre les faux prophètes en général, Ezéchiel contre prophètes et prophétesses. Comment savoir que les messages viennent vraiment de Dieu ? Comment distinguer la vraie prophétie ? Il y a d'après la Bible, deux critères : l'accomplissement de la prophétie (et cf. les textes cités plus haut sur l'annonce d'événements prochains comme « signes » de la prophétie véritable) mais, surtout, la conformité de l'enseignement avec la doctrine yahviste.
Les textes cités du Deutéronome indiquent que la prophétie était une institution reconnue par la religion officielle. Parfois, les prophètes apparaissent à côtés des prêtres (Za) ; et Jérémie nous apprend qu'il y avait, dans le Temple de Jérusalem, une « Chambre de Ben-Yohanân, homme de Dieu » probablement, un prophète. De ces faits et de la ressemblance de certaines de leurs prophéties avec des pièces liturgiques, on a récemment conclu que les prophètes, même les grands, avaient fait partie du personnel du sanctuaire et joué un rôle dans le culte. La théorie dépasse beaucoup les textes sur lesquels on la fonde et il suffit de reconnaître un certain lien entre les prophètes et les centres de la vie religieuse, et une influence de la liturgie sur la composition de certains de leurs oracles, surtout Habaquq, Zacharie et Joël.
L'idée fondamentale qui se dégage de la complexité des faits et des textes relatifs au prophète paraît être celle-ci : le prophète est un homme qui a une expérience immédiate de Dieu, qui a reçu la révélation de sa sainteté et de sa volonté, qui juge le présent et voit l'avenir à la lumière de Dieu et qui est envoyé par Dieu pour rappeler aux Hommes ses exigences et les ramener dans la voie de son obéissance et de son Amour…
Ainsi compris, malgré les ressemblances qu'on peut relever avec des phénomènes religieux dans d'autres religions, le prophétisme est un phénomène propre à Israël, l'un des modes de la Providence divine dans la conduite du peuple élu.

 

 

 

Le mouvement prophétique…

   
   

Si tels sont le caractère et le rôle du prophète, il n'est pas étonnant que la Bible place Moïse en tête de la lignée des prophètes et le considère comme le plus grand de tous ; lui qui a connu Yahvé face à face, qui lui a parlé bouche à bouche et qui a transmis sa Loi au peuple. Les héritiers de ses dons n'ont jamais manqué en Israël, et déjà son successeur Josué « en qui demeure l'esprit ». A l'époque des Juges, on connaît la prophétesse Débora et un prophète anonyme, puis se lève la grande figure de Samuel, prophète et voyant. Alors l'esprit prophétique s'épanouit dans des groupes d'inspirés dont on dit plus haut les étranges manières [N.d.r.l. - on pourrait les comparer à la Communauté du Lion de Juda, aujourd'hui rebaptisée « Les Béatitudes » dont les membres se disent habités par l'esprit… saint.] puis on rencontre les communautés plus sages des « frères prophètes » ; ces confréries disparaissent ensuite, mais jusqu'après le retour de l'Exil, la Bible mentionne des prophètes au pluriel. En dehors de ces communautés, dont l'influence sur la vie religieuse du peuple est indiscernable, apparaissent des personnalités marquantes : Gad prophète de David, Natân, auprès du même roi ; Ahiyya, sous Jéroboam ; Jéhu, fils de Hanani, sous Basha ; Elie et Elisée sous Achab et ses successeurs ; Jonas sous Jéroboam à Passim ; la prophétesse Hulda, sous Josias ; Uriyya sous Joiaqim…
A cette liste, les livres des Chroniques ajoutent Shemaya sous Roboam ; Iddo sous Roboam et sous Abiyya ; Azaryahu sous Asa ; Oded sous Achaz, et quelques anonymes…
Nous ne connaissons la plupart de ces prophètes que par des allusions. Cependant quelques figures ressortent davantage : Natân annonce à David la permanence de sa dynastie en qui Dieu se complaît ; c'est le premier chaînon des prophéties qui iront en se précisant, sur le Messie, fils de David. Mais c'est le même Natân qui fait à David, un reproche véhément de sa faute avec Bethsabée et qui, devant son repentir, lui assure le pardon de Dieu. Nous sommes surtout renseignés sur Elie et Elisée par les récits des livres des Rois. A un moment où l'invasion des cultes étrangers mettait en danger la religion de Yahvé, Elie se dresse comme le champion du vrai Dieu et remporte au sommet du Carmel, une victoire éclatante sur les prophètes de Baal. Sa rencontre avec Dieu à l'Horeb où l'Alliance avait été conclue, le rattache directement à Moïse. Défenseur de la foi, Elie l'est aussi de la morale, et il fulmine la condamnation divine contre Achab qui a assassiné Nabot pour prendre sa vigne. Sa fin mystérieuse entoure d'un halo sa figure qui n'a cessé de grandir dans la tradition juive. Au contraire d'Elie, le prophète solitaire, Elisée est très mêlée à la vie de son temps. Il intervient au cours de la guerre moabite et des guerres araméennes, joue un rôle dans l'usurpation de Hazaël à Damas, et dans celle de Jéhu en Israël ; il est consulté par les plus grands, par Joas d'Israël, par Ben-Haddad de Damas, par Naamâm, le Syrien. Il est aussi en rapports avec les groupes de « frères prophètes » qui racontaient sur lui des histoires merveilleuses.
Nos meilleures informations concernent naturellement les prophètes canoniques, et chacun sera présenté à propos du livre qui porte son nom. Il suffit ici d'indiquer leur place dans le mouvement prophétique et de dire ce qui fait leur nouveauté par rapport à l'époque précédente. Ils interviennent dans les périodes de crise qui précèdent ou accompagnent les grands tournants de l'histoire nationale : la menace assyrienne et la ruine du royaume du Nord, la ruine du royaume de Juda et le départ en exil, la fin de l'exil et le retour. Ils ne s'adressent pas au roi, mais au peuple et, parce que leur message a cette portée générale, il est conservé par écrit et continue d'agir.
Le premier d'entre ces prophètes, Amos, exerce son ministère au milieu du VIIIème siècle, environ cinquante ans après la mort d'Elisée, et le grand mouvement prophétique durera jusqu'à l'Exil, moins de deux siècles, qui sont dominés par les figures énormes d'Isaïe et de Jérémie, mais où se placent aussi Osée, Michée, Nahum, Sophonie, Habaquq. La fin du ministère de Jérémie est contemporaine des débuts d'Ezéchiel. Cependant, avec ce prophète de l'Exil, la tonalité change : moins de spontanéité et de feu, des visions grandioses, mais compliquées, des descriptions minutieuses, la préoccupation grandissante des derniers temps, brefs, des traits qui annoncent la littérature apocalyptique.
Pourtant, le grand courant isaïen se perpétue alors, avec des enrichissements, dans le livre de la Consolation. Les prophètes du Retour : Aggée et Zacharie, ont un horizon plus limité : leur intérêt se concentre sur la restauration du Temple. Après eux, Malachie souligne les tares de la communauté nouvelle. Puis, le petit livre de Jonas utilise les anciennes Ecritures pour un enseignement nouveau. La veine apocalyptique, ouverte par Ezéchiel jaillit à nouveau dans Joël et la seconde partie de Zacharie. Elle envahit le livre de Daniel où les visions du passé et de l'avenir se conjuguent dans un tableau extra-temporel de la destruction du Mal et de l'avènement du royaume de Dieu. A ce moment, la grande inspiration prophétique apparaît tarie… on fait appel aux prophètes d'antan, et Za prévoit la disparition de l'institution prophétique compromise par les faux prophètes. Mais Jl annonce une effusion de l'Esprit aux temps messianiques. Elle se réalisera à la Pentecôte… C'est en effet le début des temps nouveaux ouverts par la prédication de Jean-Baptiste, le dernier des prophètes de l'Ancienne Loi, « prophète et plus que prophète ».

 

 

 

 

La doctrine des prophètes…

   
   

Dans le développement religieux d'Israël, les prophètes ont joué un rôle considérable. Non seulement ils ont maintenu et guidé le peuple dans la voie du yahvisme authentique, mais ils ont été les organes principaux du progrès de la Révélation. Dans cette action multiforme, chacun a eu son rôle propre et chacun a apporté sa pierre à l'édifice doctrinal. Cependant, leurs contributions se rejoignent et se combinent selon trois lignes maîtresses, précisément celles qui distinguent la religion de l'Ancien Testament : le monothéisme, le moralisme, l'attente du Salut.

Le monothéisme…
Israël n'est arrivé que lentement à une définition philosophique du monothéisme : affirmation de l'existence d'un Dieu unique, négation de l'existence de tout autre dieu… Pendant très longtemps, on a accepté que les autres peuples pussent avoir d'autres dieux, mais on ne s'en préoccupait pas : Israël ne reconnaissait que Yahvé, qui était le plus puissant des dieux et réclamait un culte exclusif. Le passage de cette conscience et de cette pratique monothéistes à une définition abstraite a été le fruit de la prédication des prophètes. Lorsque le plus ancien d'entre eux, Amos, présente Yahvé comme le Dieu qui commande aux forces de la nature et qu'il est le maître des Hommes et des événements, il ne fait rappeler que des vérités anciennes qui donnent tout leur poids aux menaces qu'il profère. Mais le contenu et les conséquences de cette foi ancienne s'affirment de plus en plus clairement. La révélation du Dieu du Sinaï avait été liée à l'élection du peuple et à la conclusion de l'Alliance, et par suite Yahvé apparaissait comme le Dieu propre à Israël. Tout en soulignant fortement les liens qui unissent Yahvé à son peuple, les prophètes montrent qu'il dirige aussi les destinées des autres peuples. Il juge les petits Etats et les grands Empires, il les prend comme instruments de ses desseins, mais les arrête quand il veut. Tout en proclamant que la terre d'Israël est celle de Yahvé, et que le Temple est sa demeure, ils prédisent la destruction du sanctuaire ; et Ezéchiel voit la gloire de Yahvé quitter Jérusalem.
Yahvé, maître de toute la terre, ne laisse pas de place pour d'autres dieux. Luttant contre l'influence des cultes païens et les tentations du syncrétisme qui menaçait la foi d'Israël, les prophètes affirment l'impuissance des faux dieux et la vanité des idoles.
Pendant l'Exil, au moment où l'écroulement des espérances nationales pouvait susciter des doutes sur la puissance de Yahvé, la polémique contre les idoles se fait plus incisive et plus rationnelle dans le Deutéro-Isaïe, et plus tard, la Lettre de Jérémie. A cette critique s'oppose l'expression triomphante du monothéisme absolu.
Ce Dieu est transcendant, et cette transcendance que les prophètes expriment surtout en disant qu'il est « saint » un des thèmes favoris de la prédication d'Isaïe. Il est entouré de mystère. infiniment au-dessus des « fils d'Homme », expression qu'Ezéchiel répète à satiété pour souligner la distance qui sépare le prophète de son interlocuteur divin. Et cependant, il est proche par la bonté, la tendresse même qu'il témoigne à son peuple, surtout dans Osée et Jérémie, avec l'allégorie du mariage entre Yahvé et Israël, longuement développée par Ezéchiel.

Le moralisme…
A la sainteté de Dieu s'oppose la souillure de l'homme, et dans ce contraste, les prophètes prennent une conscience aiguë du péché. Pas plus que le monothéisme, ce moralisme n'est une innovation, il est inscrit déjà dans le Décalogue : il motivait l'intervention de Natân auprès de David et celle d'Elie auprès d'Achab. Mais les prophètes canoniques y reviennent constamment : c'est le péché qui sépare l'Homme de Dieu. Le péché est en effet une atteinte au Dieu de Justice (Amos), au Dieu d'Amour (Osée), au Dieu de Sainteté (Isaïe). Quant à Jérémie, on peut dire que le péché est au centre de sa vision : il s'étend à toute la nation qui paraît définitivement corrompue, inconvertissable. C'est ce débordement du mal qui appelle le châtiment de Dieu… le grand jugement du « Jour de Yahvé » et l'annonce du malheur est pour Jérémie, un signe de la vraie prophétie. Le péché qui est celui de la masse, appelle cette sanction collective ; cependant, l'idée de la rétribution individuelle commence à apparaître pour ensuite s'affirmer vraiment.
Le moralisme des prophètes est fondé sur le droit édicté par Dieu, qui est transgressé ou méconnu… Parallèlement, la conception de la vie religieuse s'approfondit. Pour échapper au châtiment, il faut « chercher Dieu » c'est-à-dire, précise Sophonie, accomplir ses ordonnances : suivre le droit et vivre dans l'humilité. Ce que Dieu demande, c'est une religion intérieure, dont Jérémie fait une condition de l'Alliance nouvelle. Cet esprit doit animer toute la vie religieuse et les manifestations extérieures du culte et les prophètes protestent contre ces rites étrangers à tout souci moral.
Mais il est faux de présenter les prophètes comme des adversaires du culte en lui-même ; celui-ci et le Temple seront des préoccupations majeures pour Ezéchiel, Aggée et Zacharie…

L'attente du Salut…
Cependant, le châtiment n'est pas le dernier mot de Dieu qui ne veut pas la ruine totale de son peuple mais qui, malgré toutes les apostasies, poursuit l'accomplissement de ses promesses. Il épargnera un « Reste ». La notion apparaît dans Amos, elle évolue et se précise chez ces successeurs. Dans la vision des prophètes, les deux plans du châtiment imminent et du jugement dernier de Dieu se superposent et « Reste » est à la fois ce qui échappera au danger présent et ce qui bénéficiera du salut final. Après chaque épreuve, le « Reste » est le groupe qui a survécu : les habitants laissés en Israël ou en Juda après la chute de Samarie, ou l'invasion de Sennachérib, les exilés de Babylone après la ruine de Jérusalem, la communauté revenue en Palestine après l'Exil. Mais ce groupe est en même temps, à chaque époque, le germe, la souche d'un peuple saint à qui l'avenir est promis… Ce sera une ère de bonheur inouï ; les dispersés d'Israël et de Juda reviendront dans la Terre Sainte, qui sera prodigieusement prospère, et le peuple de Dieu tirera vengeance de ses ennemis. Mais ces perspectives de prospérité et de puissance matérielles ne sont pas l'essentiel, elles accompagnent l'événement du Royaume de Dieu. Or celui-ci suppose tout un climat spirituel : justice et sainteté, conversion intérieure et pardon divin, connaissance de Dieu, paix et joie.
Pour établir et gouverner son royaume sur la terre, le Roi Yahvé aura un représentant ; il sera « l'oint » de Yahvé, en hébreu : « son messie ». C'est un prophète, Natân, qui, en promettant à David la permanence de sa dynastie, donne la première expression de ce messianisme royal dont on retrouve l'écho dans certains Psaumes. Cependant, les échecs et la mauvaise conduite de la plupart des successeurs de David parurent apporter un démenti à ce messianisme « dynastique » et l'espoir se concentra sur un roi particulier dont on attendait la venue dans un avenir proche ou lointain. C'est ce sauveur qu'entrevoient les prophètes, surtout Isaïe, mais aussi Michée et Jérémie. Le Messie sera de la lignée davidique, il sortira comme elle de Bethléem-Ephrata. Il recevra les titres les plus magnifiques et l'Esprit de Yahvé reposera en lui avec tout le cortège de ses dons. Pour Isaïe, il est l'Emmanuel, « Dieu avec nous », pour Jérémie, « Yahvé est notre justice » ; deux noms qui résument le pur idéal messianique…
Cette espérance survécut à l'écroulement des rêves de domination et à la dure leçon de l'Exil, mais les perspectives changèrent. Malgré les espoirs attachés pour un moment au davidide Zorobabel par Aggée et Zacharie, le messianisme royal subit une éclipse : aucun descendant de David n'était plus au trône et Israël était soumis à une domination étrangère. Ezéchiel attend bien la venue d'un nouveau David, cependant, il l'appelle « Prince » et non « Roi » et il le dépeint comme un médiateur et un pasteur, plutôt que comme un souverain puissant ; Zacharie annoncera la venue d'un roi, mais il sera humble et pacifique. Pour le second Isaïe, l'Oint de Yahvé n'est pas un roi davidique, c'est le roi de Perse, Cyrus, instrument de Dieu pour la libération de son peuple ; mais le même prophète met en scène une autre figure de Salut : le Serviteur de Yahvé qui est le docteur de son peuple et la Lumière des nations, prêchant en toute douceur le droit de Dieu ; il sera sans apparence, rejeté par les siens, mais il procurera leur salut au prix de sa propre vie… Enfin, Daniel voit venir, sur les nuées du Ciel, comme un Fils d'Homme qui reçoit de Dieu l'empire sur tous les peuples, un royaume qui ne passera pas. IL y eut cependant une résurgence de l'ancien courant : à la veille de notre ère l'attente d'un Messie royal était largement répandue, mais certains milieux attendaient aussi un Messie sacerdotal, d'autres un Messie transcendant…
La première communauté chrétienne a rapporté à Jésus tous ces passages prophétiques, dont il accordait en lui-même le disparate. Il est Jésus, c'est-à-dire : le Sauveur, le Christ, c'est-à-dire le Messie, descendant de David, né à Bethléem, le Roi pacifique de Zacharie et le Serviteur souffrant du Second Isaïe, l'enfant Emmanuel annoncé par Isaïe et aussi le Fils de l'Homme d'origine céleste vu par Daniel.
Mais ces références aux anciennes annonces ne doivent pas masquer l'originalité de ce messianisme chrétien qui découle de la personne et de la vie de Jésus. S'il a accompli les prophéties, c'est en les dépassant, et il a répudié lui-même la notion politique traditionnelle du messianisme royal…

 

Une précision… en conclusion
La Bible hébraïque groupe les livres d'Isaïe, de Jérémie, d'Ezéchiel et celui des Douze Prophètes sous le titre de « Prophètes postérieurs » et les place à la suite de l'ensemble Josué-Rois, qu'elle appelle « Prophètes antérieurs ». La Bible grecque rejette les livres prophétiques après les Hagiographes et en ajoutant des textes qui n'ont pas été écrits ou n'ont pas été conservés en hébreu : le livre de Baruch après Jérémie, la Lettre de Jérémie après les Lamentations. Dans l'Eglise latine, la Vulgate a conservé l'essentiel de cet arrangement, mais elle est revenue à l'ordre hébreu en plaçant les douze « petits » Prophètes après les quatre « grands » et elle joint la Lettre de Jérémie au livre de Baruch, mais à la suite des Lamentations.

Suite : Les « prophètes écrivains… »