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les
prophètes et la Bible
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Quand
le Ciel parle
le
Ciel pleure
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le
prophétisme
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A des
degrés divers, et sous des formes variables, les
grandes religions de l'Antiquité ont eu des inspirés
qui prétendaient parler au nom de Dieu
Spécialement
chez les peuples voisins d'Israël ; un cas d'extase
prophétique est rapporté à Byblos au
XIe siècle av. J.-C. Dans la forme et le contenu,
leurs messages, adressés au roi, ressemblent à
ceux des plus anciens prophètes d'Israël mentionnés
dans la Bible. Celle-ci apporte elle-même son témoignage
sur le voyant Balaam appelé Aram par le roi Moab
et les 450 prophètes de Baal appelés par Jézabel
la Tyrienne et confondus par Elie sur le Carmel. On en rapproche
aussitôt les 400 prophètes consultés
par Achab. Ils sont, comme les premiers, un groupe nombreux
d'extatiques turbulents, mais ils parlent au nom de Yahvé.
Bien que, en l'occurrence, leur prétention fût
fausse, il est assuré que le Yahvisme ancien a reconnu
comme légitime une telle institution. Des confréries
d'inspirés apparaissent auprès de Samuel ;
et, à l'époque d'Elie, des groupes de «
frères prophètes » sont en relations
avec Elisée et disparaissent ensuite, sauf une allusion
en Am. Excités par la musique, ces prophètes
étaient pris de transes collectives dont la contagion
gagnait les assistants, ou bien ils mimaient des actions
symboliques
De même, il arrive qu'une fois,
qu'Elisée ait recours à la musique avant de
prophétiser. Les actions symboliques, chez les prophètes,
sont plus nombreuses : Ahiyya de Silo, mais aussi Isaïe,
souvent Jérémie et surtout Ezéchiel.
Au cours de ces actions, ou en dehors, ils ont parfois des
comportements étranges ; ils peuvent passer par des
états psychologiques anormaux, mais ces manifestations
extraordinaires ne sont jamais l'essentiel chez les prophètes
dont la Bible a retenu l'action et les paroles. Ceux-ci
se distinguent nettement des exaltés des anciennes
confréries
Ils portent cependant le même
nom : nabî. Le nabî serait celui qui est appelé
ou bien celui qui annonce, et par l'un et l'autre sens,
on atteint cette fois à l'essentiel du prophétisme
israélite.
Le prophète est un messager et un interprète
de la parole divine. Cela est exprimé nettement
par les deux passages parallèles d'Ex : Aaron sera
l'interprète de Moïse comme s'il était
sa « bouche » ; Moïse sera « un Dieu
pour Pharaon », et Aaron sera son « prophète
». A quoi fait écho le mot de Yahvé
à Jérémie : « Je mets en ta bouche,
mes paroles
» Les prophètes ont conscience
de l'origine divine de leur message, ils l'introduisent
par « Ainsi parle Yahvé » ou «
Parole de Yahvé » ou « Oracle de Yahvé
». Cette parole qui leur est venue s'impose à
eux et ils ne peuvent la taire ; Jérémie lutte
en vain contre cette emprise. Un jour de leur vie, ils ont
été appelés d'une manière irrésistible
par Dieu, surtout, ils ont été choisis comme
ses messagers, et le début de l'histoire de Jonas
montrait ce qu'il en coûte de se dérober à
cette mission. Ils ont été envoyés
pour signifier la volonté de Dieu et pour être
eux mêmes des signes. Non seulement leurs paroles,
mais leurs actions, mais leur vie, tout est prophétie.
Le mariage réel et malheureux d'Osée est un
symbole
Isaïe doit se promener nu pour servir
de présage, lui-même et ses enfants, sont des
signes prodigieux ; l'existence de Jérémie
est un enseignement et quand Ezéchiel exécute
les ordres étranges de Dieu, il est un « signe
pour la maison d'Israël »
Le message divin peut parvenir au prophète de bien
des manières : dans une vision nocturne, par audition,
mais le plus souvent, par une inspiration intérieure
(c'est ainsi qu'on peut généralement entendre
les formules : « La parole de Yahvé me fut
adressée » ou « Parole de Yahvé
à
») tantôt à l'improviste,
tantôt à l'occasion d'une circonstance banale
: la vue d'un rameau d'amandier ou de deux paniers de figues
ou une visite chez le potier.
Le message reçu est transmis par le prophète
sous des modes également variés, dans des
morceaux lyriques ou des récits en prose, en parabole,
ou en clair, dans le style bref des oracles mais aussi en
utilisant les formes littéraires de l'objurgation,
de la diatribe, du sermon, des procès, des écrits
de sagesse ou des psaumes culturels, des chants d'amour,
de la satire, de la lamentation funèbre
Cette
variété dans la réception et l'énoncé
du message, dépend en grande partie du tempérament
personnel et des dons naturels de chaque prophète,
mais elle recouvre une identité foncière :
tout vrai prophète a vivement conscience qu'il
n'est qu'un instrument, que les mots qu'il profère
sont à la fois siens et non siens. Il a la conviction
inébranlable qu'il a reçu une parole de Dieu
et qu'il doit la communiquer. Cette conviction est fondée
sur l'expérience mystérieuse -disons mystique-
d'un contact immédiat avec Dieu. Il arrive, comme
on l'a dit, que cette emprise divine provoque extérieurement,
des manifestations « anormales », mais ce n'est
qu'un accident, comme chez les grands mystiques. Par contre,
comme pour les mystiques encore, on doit affirmer que cette
intervention de Dieu dans l'âme du prophète
met celui-ci dans un état psychologique « supra-normal
». Le nier, serait abaisser l'esprit prophétique
au rang de l'inspiration du poète
Le message prophétique s'adresse rarement à
un individu ou il le fait dans un contexte plus large.
Il faut accepter le roi, qui est le chef du peuple : Natân
avec David, Elie avec Achab, Isaïe auprès d'Achaz
et d'Ezéchias, Jérémie auprès
de Sédécias de même que le grand prêtre,
chef de la communauté au retour de l'Exil, Za.
Mais, ces exceptions mises à part, ce qui distingue
les grands prophètes dont nous avons conservé
l'uvre, de leurs prédécesseurs en Israël
et de leurs analogues dans le milieu oriental, c'est que
leur message s'adresse à tout le peuple. Dans tous
les récits de vocation, c'est vers le peuple que
le prophète est envoyé, vers tous les peuples
même, dans le cas de Jérémie.
Son message concerne le présent et le futur. Le
prophète est envoyé auprès de ses contemporains,
il leur transmet les volontés divines. Mais dans
la mesure où il est l'interprète de Dieu,
il est au-dessus du temps, et ses « prédictions
» viennent en confirmation et en prolongement de ses
« Prédications ». Il peut annoncer
un événement prochain comme un signe dont
la réalisation justifiera ses paroles et sa mission
; il prévoit le châtiment comme la punition
des fautes contre lesquelles il tonne, le salut comme la
récompense de la conversion qu'il demande. Chez les
prophètes plus récents, le voile peut se lever
jusqu'aux derniers temps, jusqu'au triomphe final de Dieu,
mais il en ressort toujours un enseignement pour le présent.
Cependant, comme le prophète n'est qu'un instrument,
le message qu'il délivre peut dépasser les
circonstances où il est prononcé et la conscience
même du prophète, il reste entouré de
mystère jusqu'à ce que l'avenir l'explicite
en le réalisant.
Jérémie est envoyé « pour exterminer
et démolir, pour bâtir et planter ».
Le message prophétique a une double face : il est
sévère et consolant
Et sans doute il
est souvent dur, plein de menaces et de reproches, au point
que cette sévérité peut apparaître
comme un signe de la vraie prophétie. C'est que
le péché, obstacle aux desseins de Dieu, hante
l'esprit du prophète
Mais les perspectives
de salut n'ont jamais été fermées.
Le livre de la Consolation est l'un des sommets de la prophétie
et l'on n'est pas justifié à retrancher des
prophètes plus anciens les annonces de joie qu'on
trouve dans Am. Dans la conduite de Dieu à l'égard
de son peuple, grâce et châtiment sont complémentaires.
Le prophète est envoyé auprès du peuple
d'Israël, mais son horizon est plus vaste, comme la
puissance de Dieu dont il annonce les uvres. Les grands
prophètes ont des groupes d'oracles contre les nations.
Amos débute par des jugements contre les voisins
d'Israël ; Abdias donne un oracle sur Edom ; de Nahum,
nous n'avons qu'un oracle contre Ninive, et c'est là
que Jonas est envoyé pour prêcher.
Le prophète est assuré de parler au nom
de Dieu, mais comment ses auditeurs reconnaîtront-ils
qu'il est prophète authentique ? Car il y a de faux
prophètes qui paraissent souvent dans la Bible. Ils
peuvent être des sincères qui s'illusionnent
ou ils peuvent être des simulateurs, mais leur comportement
ne les distingue pas des vrais prophètes. Ils trompent
le peuple, et les vrais prophètes doivent polémiquer
contre eux, Michée ben Yimla contre les prophètes
d'Achab, Jérémie contre Hananya et contre
les faux prophètes en général, Ezéchiel
contre prophètes et prophétesses. Comment
savoir que les messages viennent vraiment de Dieu ? Comment
distinguer la vraie prophétie ? Il y a d'après
la Bible, deux critères : l'accomplissement de la
prophétie (et cf. les textes cités plus haut
sur l'annonce d'événements prochains comme
« signes » de la prophétie véritable)
mais, surtout, la conformité de l'enseignement avec
la doctrine yahviste.
Les textes cités du Deutéronome indiquent
que la prophétie était une institution reconnue
par la religion officielle. Parfois, les prophètes
apparaissent à côtés des prêtres
(Za) ; et Jérémie nous apprend qu'il y avait,
dans le Temple de Jérusalem, une « Chambre
de Ben-Yohanân, homme de Dieu » probablement,
un prophète. De ces faits et de la ressemblance de
certaines de leurs prophéties avec des pièces
liturgiques, on a récemment conclu que les prophètes,
même les grands, avaient fait partie du personnel
du sanctuaire et joué un rôle dans le culte.
La théorie dépasse beaucoup les textes sur
lesquels on la fonde et il suffit de reconnaître un
certain lien entre les prophètes et les centres de
la vie religieuse, et une influence de la liturgie sur la
composition de certains de leurs oracles, surtout Habaquq,
Zacharie et Joël.
L'idée fondamentale qui se dégage de la complexité
des faits et des textes relatifs au prophète paraît
être celle-ci : le prophète est un homme qui
a une expérience immédiate de Dieu, qui a
reçu la révélation de sa sainteté
et de sa volonté, qui juge le présent et voit
l'avenir à la lumière de Dieu et qui est envoyé
par Dieu pour rappeler aux Hommes ses exigences et les ramener
dans la voie de son obéissance et de son Amour
Ainsi compris, malgré les ressemblances qu'on peut
relever avec des phénomènes religieux dans
d'autres religions, le prophétisme est un phénomène
propre à Israël, l'un des modes de la Providence
divine dans la conduite du peuple élu.
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Le
mouvement prophétique
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Si
tels sont le caractère et le rôle du prophète,
il n'est pas étonnant que la Bible place Moïse
en tête de la lignée des prophètes et
le considère comme le plus grand de tous ; lui
qui a connu Yahvé face à face, qui lui a parlé
bouche à bouche et qui a transmis sa Loi au peuple.
Les héritiers de ses dons n'ont jamais manqué
en Israël, et déjà son successeur Josué
« en qui demeure l'esprit ». A l'époque
des Juges, on connaît la prophétesse Débora
et un prophète anonyme, puis se lève la grande
figure de Samuel, prophète et voyant. Alors l'esprit
prophétique s'épanouit dans des groupes d'inspirés
dont on dit plus haut les étranges manières
[N.d.r.l. - on pourrait les comparer à la Communauté
du Lion de Juda, aujourd'hui rebaptisée « Les
Béatitudes » dont les membres se disent habités
par l'esprit
saint.] puis on rencontre les communautés
plus sages des « frères prophètes »
; ces confréries disparaissent ensuite, mais jusqu'après
le retour de l'Exil, la Bible mentionne des prophètes
au pluriel. En dehors de ces communautés, dont l'influence
sur la vie religieuse du peuple est indiscernable, apparaissent
des personnalités marquantes : Gad prophète
de David, Natân, auprès du même roi ;
Ahiyya, sous Jéroboam ; Jéhu, fils de Hanani,
sous Basha ; Elie et Elisée sous Achab et ses successeurs
; Jonas sous Jéroboam à Passim ; la prophétesse
Hulda, sous Josias ; Uriyya sous Joiaqim
A cette liste, les livres des Chroniques ajoutent Shemaya
sous Roboam ; Iddo sous Roboam et sous Abiyya ; Azaryahu
sous Asa ; Oded sous Achaz, et quelques anonymes
Nous ne connaissons la plupart de ces prophètes que
par des allusions. Cependant quelques figures ressortent
davantage : Natân annonce à David la permanence
de sa dynastie en qui Dieu se complaît ; c'est le
premier chaînon des prophéties qui iront en
se précisant, sur le Messie, fils de David. Mais
c'est le même Natân qui fait à David,
un reproche véhément de sa faute avec Bethsabée
et qui, devant son repentir, lui assure le pardon de Dieu.
Nous sommes surtout renseignés sur Elie et Elisée
par les récits des livres des Rois. A un moment où
l'invasion des cultes étrangers mettait en danger
la religion de Yahvé, Elie se dresse comme le champion
du vrai Dieu et remporte au sommet du Carmel, une victoire
éclatante sur les prophètes de Baal. Sa rencontre
avec Dieu à l'Horeb où l'Alliance avait été
conclue, le rattache directement à Moïse. Défenseur
de la foi, Elie l'est aussi de la morale, et il fulmine
la condamnation divine contre Achab qui a assassiné
Nabot pour prendre sa vigne. Sa fin mystérieuse entoure
d'un halo sa figure qui n'a cessé de grandir dans
la tradition juive. Au contraire d'Elie, le prophète
solitaire, Elisée est très mêlée
à la vie de son temps. Il intervient au cours de
la guerre moabite et des guerres araméennes, joue
un rôle dans l'usurpation de Hazaël à
Damas, et dans celle de Jéhu en Israël ; il
est consulté par les plus grands, par Joas d'Israël,
par Ben-Haddad de Damas, par Naamâm, le Syrien. Il
est aussi en rapports avec les groupes de « frères
prophètes » qui racontaient sur lui des histoires
merveilleuses.
Nos meilleures informations concernent naturellement les
prophètes canoniques, et chacun sera présenté
à propos du livre qui porte son nom. Il suffit ici
d'indiquer leur place dans le mouvement prophétique
et de dire ce qui fait leur nouveauté par rapport
à l'époque précédente. Ils interviennent
dans les périodes de crise qui précèdent
ou accompagnent les grands tournants de l'histoire nationale
: la menace assyrienne et la ruine du royaume du Nord, la
ruine du royaume de Juda et le départ en exil, la
fin de l'exil et le retour. Ils ne s'adressent pas au roi,
mais au peuple et, parce que leur message a cette portée
générale, il est conservé par écrit
et continue d'agir.
Le premier d'entre ces prophètes, Amos, exerce son
ministère au milieu du VIIIème siècle,
environ cinquante ans après la mort d'Elisée,
et le grand mouvement prophétique durera jusqu'à
l'Exil, moins de deux siècles, qui sont dominés
par les figures énormes d'Isaïe et de Jérémie,
mais où se placent aussi Osée, Michée,
Nahum, Sophonie, Habaquq. La fin du ministère de
Jérémie est contemporaine des débuts
d'Ezéchiel. Cependant, avec ce prophète de
l'Exil, la tonalité change : moins de spontanéité
et de feu, des visions grandioses, mais compliquées,
des descriptions minutieuses, la préoccupation grandissante
des derniers temps, brefs, des traits qui annoncent la littérature
apocalyptique.
Pourtant, le grand courant isaïen se perpétue
alors, avec des enrichissements, dans le livre de la Consolation.
Les prophètes du Retour : Aggée et Zacharie,
ont un horizon plus limité : leur intérêt
se concentre sur la restauration du Temple. Après
eux, Malachie souligne les tares de la communauté
nouvelle. Puis, le petit livre de Jonas utilise les anciennes
Ecritures pour un enseignement nouveau. La veine apocalyptique,
ouverte par Ezéchiel jaillit à nouveau dans
Joël et la seconde partie de Zacharie. Elle envahit
le livre de Daniel où les visions du passé
et de l'avenir se conjuguent dans un tableau extra-temporel
de la destruction du Mal et de l'avènement du royaume
de Dieu. A ce moment, la grande inspiration prophétique
apparaît tarie
on fait appel aux prophètes
d'antan, et Za prévoit la disparition de l'institution
prophétique compromise par les faux prophètes.
Mais Jl annonce une effusion de l'Esprit aux temps messianiques.
Elle se réalisera à la Pentecôte
C'est en effet le début des temps nouveaux ouverts
par la prédication de Jean-Baptiste, le dernier des
prophètes de l'Ancienne Loi, « prophète
et plus que prophète ».
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La
doctrine des prophètes
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Dans
le développement religieux d'Israël, les prophètes
ont joué un rôle considérable. Non seulement
ils ont maintenu et guidé le peuple dans la voie
du yahvisme authentique, mais ils ont été
les organes principaux du progrès de la Révélation.
Dans cette action multiforme, chacun a eu son rôle
propre et chacun a apporté sa pierre à l'édifice
doctrinal. Cependant, leurs contributions se rejoignent
et se combinent selon trois lignes maîtresses, précisément
celles qui distinguent la religion de l'Ancien Testament
: le monothéisme, le moralisme, l'attente du Salut.
Le
monothéisme
Israël n'est arrivé que lentement à une
définition philosophique du monothéisme :
affirmation de l'existence d'un Dieu unique, négation
de l'existence de tout autre dieu
Pendant très
longtemps, on a accepté que les autres peuples pussent
avoir d'autres dieux, mais on ne s'en préoccupait
pas : Israël ne reconnaissait que Yahvé, qui
était le plus puissant des dieux et réclamait
un culte exclusif. Le passage de cette conscience et de
cette pratique monothéistes à une définition
abstraite a été le fruit de la prédication
des prophètes. Lorsque le plus ancien d'entre eux,
Amos, présente Yahvé comme le Dieu qui commande
aux forces de la nature et qu'il est le maître des
Hommes et des événements, il ne fait rappeler
que des vérités anciennes qui donnent tout
leur poids aux menaces qu'il profère. Mais le contenu
et les conséquences de cette foi ancienne s'affirment
de plus en plus clairement. La révélation
du Dieu du Sinaï avait été liée
à l'élection du peuple et à la conclusion
de l'Alliance, et par suite Yahvé apparaissait comme
le Dieu propre à Israël. Tout en soulignant
fortement les liens qui unissent Yahvé à son
peuple, les prophètes montrent qu'il dirige aussi
les destinées des autres peuples. Il juge les petits
Etats et les grands Empires, il les prend comme instruments
de ses desseins, mais les arrête quand il veut. Tout
en proclamant que la terre d'Israël est celle de Yahvé,
et que le Temple est sa demeure, ils prédisent la
destruction du sanctuaire ; et Ezéchiel voit la gloire
de Yahvé quitter Jérusalem.
Yahvé, maître de toute la terre, ne laisse
pas de place pour d'autres dieux. Luttant contre l'influence
des cultes païens et les tentations du syncrétisme
qui menaçait la foi d'Israël, les prophètes
affirment l'impuissance des faux dieux et la vanité
des idoles.
Pendant l'Exil, au moment où l'écroulement
des espérances nationales pouvait susciter des doutes
sur la puissance de Yahvé, la polémique contre
les idoles se fait plus incisive et plus rationnelle dans
le Deutéro-Isaïe, et plus tard, la Lettre de
Jérémie. A cette critique s'oppose l'expression
triomphante du monothéisme absolu.
Ce Dieu est transcendant, et cette transcendance que les
prophètes expriment surtout en disant qu'il est «
saint » un des thèmes favoris de la prédication
d'Isaïe. Il est entouré de mystère. infiniment
au-dessus des « fils d'Homme », expression qu'Ezéchiel
répète à satiété pour
souligner la distance qui sépare le prophète
de son interlocuteur divin. Et cependant, il est proche
par la bonté, la tendresse même qu'il témoigne
à son peuple, surtout dans Osée et Jérémie,
avec l'allégorie du mariage entre Yahvé et
Israël, longuement développée par Ezéchiel.
Le
moralisme
A la sainteté de Dieu s'oppose la souillure de l'homme,
et dans ce contraste, les prophètes prennent une
conscience aiguë du péché. Pas plus que
le monothéisme, ce moralisme n'est une innovation,
il est inscrit déjà dans le Décalogue
: il motivait l'intervention de Natân auprès
de David et celle d'Elie auprès d'Achab. Mais les
prophètes canoniques y reviennent constamment : c'est
le péché qui sépare l'Homme de Dieu.
Le péché est en effet une atteinte au Dieu
de Justice (Amos), au Dieu d'Amour (Osée), au Dieu
de Sainteté (Isaïe). Quant à Jérémie,
on peut dire que le péché est au centre de
sa vision : il s'étend à toute la nation qui
paraît définitivement corrompue, inconvertissable.
C'est ce débordement du mal qui appelle le châtiment
de Dieu
le grand jugement du « Jour de Yahvé
» et l'annonce du malheur est pour Jérémie,
un signe de la vraie prophétie. Le péché
qui est celui de la masse, appelle cette sanction collective
; cependant, l'idée de la rétribution individuelle
commence à apparaître pour ensuite s'affirmer
vraiment.
Le moralisme des prophètes est fondé sur le
droit édicté par Dieu, qui est transgressé
ou méconnu
Parallèlement, la conception
de la vie religieuse s'approfondit. Pour échapper
au châtiment, il faut « chercher Dieu »
c'est-à-dire, précise Sophonie, accomplir
ses ordonnances : suivre le droit et vivre dans l'humilité.
Ce que Dieu demande, c'est une religion intérieure,
dont Jérémie fait une condition de l'Alliance
nouvelle. Cet esprit doit animer toute la vie religieuse
et les manifestations extérieures du culte et les
prophètes protestent contre ces rites étrangers
à tout souci moral.
Mais il est faux de présenter les prophètes
comme des adversaires du culte en lui-même ; celui-ci
et le Temple seront des préoccupations majeures pour
Ezéchiel, Aggée et Zacharie
L'attente
du Salut
Cependant, le châtiment n'est pas le dernier mot de
Dieu qui ne veut pas la ruine totale de son peuple mais
qui, malgré toutes les apostasies, poursuit l'accomplissement
de ses promesses. Il épargnera un « Reste ».
La notion apparaît dans Amos, elle évolue et
se précise chez ces successeurs. Dans la vision des
prophètes, les deux plans du châtiment imminent
et du jugement dernier de Dieu se superposent et «
Reste » est à la fois ce qui échappera
au danger présent et ce qui bénéficiera
du salut final. Après chaque épreuve, le «
Reste » est le groupe qui a survécu : les habitants
laissés en Israël ou en Juda après la
chute de Samarie, ou l'invasion de Sennachérib, les
exilés de Babylone après la ruine de Jérusalem,
la communauté revenue en Palestine après l'Exil.
Mais ce groupe est en même temps, à chaque
époque, le germe, la souche d'un peuple saint à
qui l'avenir est promis
Ce sera une ère de
bonheur inouï ; les dispersés d'Israël
et de Juda reviendront dans la Terre Sainte, qui sera prodigieusement
prospère, et le peuple de Dieu tirera vengeance de
ses ennemis. Mais ces perspectives de prospérité
et de puissance matérielles ne sont pas l'essentiel,
elles accompagnent l'événement du Royaume
de Dieu. Or celui-ci suppose tout un climat spirituel :
justice et sainteté, conversion intérieure
et pardon divin, connaissance de Dieu, paix et joie.
Pour établir et gouverner son royaume sur la terre,
le Roi Yahvé aura un représentant ; il sera
« l'oint » de Yahvé, en hébreu
: « son messie ». C'est un prophète,
Natân, qui, en promettant à David la permanence
de sa dynastie, donne la première expression de ce
messianisme royal dont on retrouve l'écho dans certains
Psaumes. Cependant, les échecs et la mauvaise conduite
de la plupart des successeurs de David parurent apporter
un démenti à ce messianisme « dynastique
» et l'espoir se concentra sur un roi particulier
dont on attendait la venue dans un avenir proche ou lointain.
C'est ce sauveur qu'entrevoient les prophètes, surtout
Isaïe, mais aussi Michée et Jérémie.
Le Messie sera de la lignée davidique, il sortira
comme elle de Bethléem-Ephrata. Il recevra les titres
les plus magnifiques et l'Esprit de Yahvé reposera
en lui avec tout le cortège de ses dons. Pour Isaïe,
il est l'Emmanuel, « Dieu avec nous », pour
Jérémie, « Yahvé est notre justice
» ; deux noms qui résument le pur idéal
messianique
Cette espérance survécut à l'écroulement
des rêves de domination et à la dure leçon
de l'Exil, mais les perspectives changèrent. Malgré
les espoirs attachés pour un moment au davidide Zorobabel
par Aggée et Zacharie, le messianisme royal subit
une éclipse : aucun descendant de David n'était
plus au trône et Israël était soumis à
une domination étrangère. Ezéchiel
attend bien la venue d'un nouveau David, cependant, il l'appelle
« Prince » et non « Roi » et il
le dépeint comme un médiateur et un pasteur,
plutôt que comme un souverain puissant ; Zacharie
annoncera la venue d'un roi, mais il sera humble et pacifique.
Pour le second Isaïe, l'Oint de Yahvé n'est
pas un roi davidique, c'est le roi de Perse, Cyrus, instrument
de Dieu pour la libération de son peuple ; mais le
même prophète met en scène une autre
figure de Salut : le Serviteur de Yahvé qui est le
docteur de son peuple et la Lumière des nations,
prêchant en toute douceur le droit de Dieu ; il sera
sans apparence, rejeté par les siens, mais il procurera
leur salut au prix de sa propre vie
Enfin, Daniel
voit venir, sur les nuées du Ciel, comme un Fils
d'Homme qui reçoit de Dieu l'empire sur tous les
peuples, un royaume qui ne passera pas. IL y eut cependant
une résurgence de l'ancien courant : à la
veille de notre ère l'attente d'un Messie royal était
largement répandue, mais certains milieux attendaient
aussi un Messie sacerdotal, d'autres un Messie transcendant
La première communauté chrétienne a
rapporté à Jésus tous ces passages
prophétiques, dont il accordait en lui-même
le disparate. Il est Jésus, c'est-à-dire :
le Sauveur, le Christ, c'est-à-dire le Messie, descendant
de David, né à Bethléem, le Roi pacifique
de Zacharie et le Serviteur souffrant du Second Isaïe,
l'enfant Emmanuel annoncé par Isaïe et aussi
le Fils de l'Homme d'origine céleste vu par Daniel.
Mais ces références aux anciennes annonces
ne doivent pas masquer l'originalité de ce messianisme
chrétien qui découle de la personne et de
la vie de Jésus. S'il a accompli les prophéties,
c'est en les dépassant, et il a répudié
lui-même la notion politique traditionnelle du messianisme
royal
Une
précision
en conclusion
La Bible hébraïque groupe les livres d'Isaïe,
de Jérémie, d'Ezéchiel et celui des
Douze Prophètes sous le titre de « Prophètes
postérieurs » et les place à la suite
de l'ensemble Josué-Rois, qu'elle appelle «
Prophètes antérieurs ». La Bible grecque
rejette les livres prophétiques après les
Hagiographes et en ajoutant des textes qui n'ont pas été
écrits ou n'ont pas été conservés
en hébreu : le livre de Baruch après Jérémie,
la Lettre de Jérémie après les Lamentations.
Dans l'Eglise latine, la Vulgate a conservé l'essentiel
de cet arrangement, mais elle est revenue à l'ordre
hébreu en plaçant les douze « petits
» Prophètes après les quatre «
grands » et elle joint la Lettre de Jérémie
au livre de Baruch, mais à la suite des Lamentations.
Suite
: Les « prophètes écrivains
»
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