Louis-Marie
Grignion de Montfort…

 

 

Voici la pluie qui le transperce, le vent qui le glace. Il chante toujours. Et tandis que son corps peine et souffre, la sainte Vierge se fait si douce et maternelle avec lui que son âme en déborde de joie.
Il est tout de même, apparemment, en assez piteux état lorsqu'il arrive aux abords de la capitale. Cela fait des jours qu'il a quitté la ville de Rennes. Trempé, pouilleux, amaigri, grelottant dans ses haillons, il ne trouve abri que dans une écurie.
Quand il se présente le lendemain devant la personne qui doit lui procurer la bourse pour le séminaire, celle-ci a de la peine à reconnaître, dans ce mendiant, le distingué jeune homme vu à Rennes. Le trouvant trop original, elle hésite à le faire rentrer à Saint-Sulpice et le place dans un séminaire pour les pauvres où il bénéficiera des mêmes cours.
Louis-Marie en est très heureux : ce qui compte seulement pour lui, c'est sa préparation au sacerdoce.
Le Supérieur se rend vite compte que son nouvel élève est un saint ; il l'encourage dans sa dévotion à Marie et dans son esprit de pénitence. Louis-Marie peut donc s'en donner à cœur joie et de toutes les manières. Mais en commençant par la principale qui est d'accomplir parfaitement son devoir d'état. Travailleur acharné, comme il l'était déjà à Rennes, il fait des progrès étonnants et devient très vite, le plus brillant dans tous les domaines.

La famine survient en 1693. Même le prix de sa modeste pension au séminaire des pauvres est difficilement payé par la bienfaitrice de Louis-Marie. Les jeunes gens souffrent de la faim. Le Supérieur ne sait comment les nourrir. Une écuelle à la main, Louis-Marie s'en va se mettre des mendiants auxquels on fait, au coin des rues, des distributions de soupe.
Et il trouve souvent le moyen de partager encore sa maigre portion avec des malades cloués dans leurs lits…

Sa mère ayant deviné qu'il en a besoin, lui envoie, un jour, une soutane neuve. Il la donne aussitôt à un prêtre, pourtant la sienne est en lambeaux. Il demande à un confrère de lui en trouver une d'occasion et lui donne 30 sous pour ce faire
– « Voulez-vous rire ! » s'écrie l'autre, « il faut au moins deux pistoles ! »
– « Eh bien ! si le marchand refuse, donnez les 30 sous à un pauvre… »
C'est ce qui arriva. Mais quand il revint les mains vides vers Montfort, le confrère apprit que pendant ce temps, quelqu'un lui avait apporté 2 pistoles, juste de quoi s'acheter une soutane d'occasion.

La famine continuant, Louis-Marie accepte de veiller les morts pour gagner quelques sous. Sa pension, en effet n'est plus du tout payée et le Supérieur serait en droit de le renvoyer.
– « Que seriez-vous devenu, » lui dit-on plus tard, « si Monsieur de la Barmondière vous avait renvoyé ? »
– « Je n'y ai jamais songé, » répondit-il, « tout mon appui est sur Dieu. »
Le bon Dieu répondait à tant de filiale confiance par des grâces de plus en plus nombreuses.

Voilà donc notre séminariste s'en allant trois ou quatre fois par semaine, passer 8 heures, la nuit, à veiller les morts. Les quatre premières heures, il prie à genoux près du mort si profondément entré en oraison, qu'il ne bouge même pas.
Les deux heures suivantes, il fait une lecture spirituelle et les deux dernières heures, il étudie ses cours.
Puis, comme si de rien n'était, il rentre au séminaire pour commencer sa journée normale…

Il a heureusement une très bonne santé et beaucoup de vitalité. Il est même doué d'une grande force. Il soulève facilement des fardeaux très pesants, à l'admiration de ses camarades.
Car s'il est si dur pour lui-même, il est toute charité pour les autres. Comme son Supérieur lui demande de se mêler à la joie de tous à la récréation, il recueille les bons mots et les calembours qui font rire et s'efforce d'avoir une conversation gaie et amusante.

Son application héroïque et sa vie de mortification extrêmes eurent raison de sa santé.
Le voilà malade et transporté à l'hôpital. Pâle, n'ayant plus qu'un souffle de vie, il murmure sans arrêt des « Ave Maria ». Son épuisement est tel qu'on s'attend à le voir mourir.
Mais il annonce, tout à coup, lui-même, qu'il va guérir bientôt. En effet, quelques jours après, il rentre au séminaire où il reprend ses études et son genre de vie. Il ajoute même à son travail, une formation artistique qui, plus tard, lui servira beaucoup.

Déjà, à Rennes, il avait manifesté des dons réels pour le dessin, la peinture et même la sculpture. Avec le travail, ces dons se développeront. Et l'on conserve encore, à Saint-Laurent-sur-Sèvre, certaines statues de Notre-Dame qui sortirent de ses mains.
Notre-Dame ! Elle est chaque jour plus sa mère, et l'objet de toute sa tendresse. Aussi, est-ce une grande joie pour lui, de prendre la route de Chartres, tout le séminaire l'ayant désigné pour accomplir, avec un confrère, le pèlerinage traditionnel.

Devançant Peguy, devançant les longues cohortes d'étudiants qui, à chaque Pentecôte, perpétuent le geste, Louis-Marie, routier de Notre-Dame, arpente les chemins qui, à travers la plate Beauce, mènent à « la flèche irréprochable ».
Devant Notre-Dame-Sous-Terre, il passe la journée comme ravi, en extase. Et il repart de Chartres plus fort, plus décidé à devenir, façonné par les mains de Marie, un vrai apôtre du Seigneur.
Car l'heure du sacerdoce sonnera bientôt pour lui.

A ce moment-là, Louis-Marie est enfin séminariste à Saint-Sulpice. Il en profite pour lire beaucoup. Le titre d'un livre l'attire spécialement. C'est « le saint esclavage de l'admirable Mère de Dieu ». Dans cette fin du XVIIe siècle, le terme d'esclavage n'avait pas l'aspect vieilli qu'il peut présenter de nos jours. Etre « esclave de Marie » c'est la forte expression qui traduit, pour Montfort, l'hommage spécial qu'il veut rendre à la « Reine des cœurs ». Il en parle à plusieurs camarades, avec qui il forme une petite association dont les membres se vouent spécialement à Notre-Dame afin de mieux aller, par elle, à Jésus.
 

De plus en plus, il s'instruit. Cela lui est d'autant plus facile qu'il a été nommé bibliothécaire du séminaire.
Toujours accueillant et souriant, il remplit ce rôle à la satisfaction générale. Et il prend pour son compte de nombreuses notes qui faciliteront, plus tard, son travail de missionnaire et d'écrivain spirituel.
Il n'oublie pas pour autant sa famille qui se débat toujours dans les soucis d'argent. Trois de ses sœurs peuvent entrer à l'abbaye de Fontevrault par son intermédiaire.

 
 
Louis-Marie
 
Grignion de Montfort…