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L'abbé - Vous comprenez tout d'abord,
mes amis, que la nature angélique est nécessairement
supérieure à celle de l'homme. Elle occupe
un rang plus élevé dans la création
; et, comme l'avaient vu déjà les philosophes
platoniciens, elle tient le milieu entre l'homme et Dieu.
A cet égard, il y a unanimité complète
chez tous les Pères. La croyance des peuples chrétiens
et non chrétiens confirme la doctrine sur ce point
; et les paroles de saint Paul qui donne aux anges le nom
de vertus, de principautés, de dominations, de puissances,
ne nous laissent aucun doute sur la perfection de leur nature.
Quelle est la nature de ces intelligences, et quelles sont
leurs perfections ?
De l'essence des anges
L'abbé - Que les anges soient d'essence
spirituelle, c'est une chose incontestable. La spiritualité
de leur nature ne peut être l'objet d'un doute pour
personne.
Léon - Le seul nom d'Esprit, indique
la spiritualité de leur essence.
L'abbé - Cependant, ne pourrait-on pas
demander si cette spiritualité est telle qu'on doive
regarder les anges comme absolument dégagés
de toute espèce de corps ? Ici, les sages sont opposés
aux sages : d'après saint Augustin, les anges se
nourrissent d'une sorte de nourritures célestes supérieures
aux grossiers aliments de la Terre. Saint Irénée
n'exclut de leur nature que l'idée d'un corps grossier
; aussi leur attribue-t-il un corps subtil. Clément
d'Alexandrie leur donne une sorte d'enveloppe ou de corps
subtil. Saint Méthode et Théognoste leur donne
aussi un corps subtil ; Origène va jusqu'à
déterminer la forme de ce corps. On peut citer encore
comme attribuant un corps aux anges, saint Cyrille et dans
l'Eglise latine, Tertullien, saint Augustin, Cassien. Claude
Mamert dit qu'ils sont composés d'une nature corporelle
et d'une nature spirituelle tout-à-fait comme l'Homme
; Honorius et saint Bernard leur donnent aussi un corps.
Ajoutez à tous ces noms : Arnobe, Minutius Félix,
saint Ephrem, saint Bazile, saint Grégoire de Nazianze,
saint Césaire, saint Fulgence, Raban Maur
[
]
La raison sur laquelle on fonde l'idée que les anges
ont un corps, c'est qu'étant quelque part, sans être
présents en tout lieu, on ne peut se les représenter
que limités dans l'espace. On s'appuie encore sur
les angélophanies ou apparitions d'anges, et sur
la mention des corps célestes que l'on trouve dans
saint Paul. [Klée]
Les partisans du second sentiments s'appuient sur un passage
de la Sainte-Ecriture. David dit dans les Psaumes que Dieu
fait des Esprits, ses anges, c'est-à-dire ses messagers.
De là on conclut leur spiritualité pure.
Léon - Cette conclusion est-elle bien
légitime ? L'Homme aussi est appelé un Esprit ;
s'ensuit-il qu'il soit un Esprit pur ?
L'abbé - On s'appuie encore sur le
texte du quatrième concile de Latran
Si l'on considère la création tout entière
comme une communication graduée de la bonté
divine, les créatures qui occupent le sommet de la
création se trouvant les plus rapprochées
de Dieu, sont par là même, la plus vive image
de la splendeur divine, et, comme s'exprime saint Denys,
les plus purs rayons de sa bonté. Elles doivent donc
représenter plus fidèlement la spiritualité
absolue de Dieu.
Léon - Cette conception, qui ne manque
certainement pas de grandeur, ne prouve cependant pas, il
me semble du moins, que tous les anges soient dépourvus
de corps. Qu'il y en ait un certain nombre, les plus élevés,
ceux qui touchent de plus près à Dieu, qui
soient sans aucune espèce d'enveloppe matérielle,
cela ressort du raisonnement de saint Thomas ; que tous
soient dépourvus de corps grossiers et charnels comme
les nôtres, leur supériorité sur nous
le demande et l'enseignement unanime des Pères le
confirme ; mais s'il y a un ordre, une gradation aussi,
une diversité parmi les anges, s'ils forment différentes
espèces, pourquoi les plus voisins de l'Homme et
les moins rapprochés de Dieu n'auraient-ils pas un
corps subtil et aérien ? [
] En sorte que le
monde invisible soit constitué sur le même
plan que le monde visible
L'abbé - Sans aucun doute, Léon,
les choses visibles sont la manifestation des invisibles
selon saint Paul. « Les anges sont donc tous d'espèce
différente. » Et voici la raison qu'en donne
saint Thomas, dont je viens de vous citer les paroles :
« Dans les substances immatérielles, il ne
peut y avoir de diversité numérique sans une
différence spécifique et sans inégalité
naturelle.
Chaque ange se distingue, n'est-il pas vrai, de tout autre
ange ? Il constitue une individualité propre, une
forme immatérielle qui ne saurait se confondre avec
une autre.
Arthur - Je le comprends.
L'abbé - Il y a donc dans cette forme
spirituelle quelque chose qui la distingue et la spécifie.
Arthur - Evidemment.
L'abbé - Ce quelque chose de distinctif
ne se trouve pas dans la matière, puisque les anges
sont immatériels.
Arthur - Je le comprends encore.
L'abbé - Dès lors, ce qui les
différencie se trouve dans la substance spirituelle
elle-même ?
Arthur - J'en conviens
L'abbé - Ainsi tous les Pères,
et après eux, tous les théologiens admettent
une progression ascendante dans le monde spirituel. Plus
tard, nous reviendrons sur ce sujet, et nous en parlerons
plus en détail quand la suite des choses que nous
avons à traiter nous ramènera de nouveau sur
ce terrain
Léon - L'hypothèse que j'émets
concilie les deux opinions contraires des saint Pères,
et de plus, elle offre l'avantage de nous montrer, entre
l'Homme et l'Esprit pur, une transition douce, un passage
graduellement amené par des corps qui, en se subtilisant,
sembleraient s'avancer vers la spiritualité et atteindre
les dernières limites de la perfectibilité
de la matière avant de disparaître pour ne
plus laisser voir au-dessus que l'incorporéité
sans mélange.
L'abbé - Quoi qu'il en soit, l'opinion
qui voit dans les anges des substances absolument immatérielles
est certainement la plus commune et la plus générale.
Elle s'appuie d'ailleurs sur le témoignage de saint
Denys qui, peut-être, l'avait reçue de saint
Paul.
Facultés
naturelles des anges
L'abbé - Comme ce titre l'indique,
nous n'avons à parler ici que des puissances inhérentes
à la nature des anges, et non pas des dons surnaturels,
soit de la grâce, soit de la gloire que Dieu peut
leur avoir accordés.
Arthur : Nous allons donc apprendre seulement quelles sont
les facultés et les perfections naturelles de l'essence
angélique. Parlez, je vous écoute de mes deux
oreilles, avec l'attention d'un esprit curieux de nouveautés
L'abbé - Un Esprit, Arthur, ne peut
se concevoir que comme une substance essentiellement douée
d'intelligence, d'affection, de volonté libre, d'activité
et de causalité.
Arthur - C'est juste !
L'abbé - il y a donc dans les anges,
intelligence, amour, volonté libre, mouvement et
causalité. Il nous faut donc nous occuper une instant
de chacune de ces puissances
De l'intelligence des anges
L'abbé - L'intelligence est la faculté
de connaître et connaître, c'est voir ce qui
est : le vrai
Trois choses sont à distinguer dans l'intelligence
des anges :
1.- la faculté de connaître
2.- l'acte de cette vertu
ou la vision
3.- le terme de cet acte,
son résultat, ou la connaissance des choses vues
par l'Esprit angélique de même que vous distinguez
dans l'organisme humain l'organe visuel ou l'il corporel,
la vue et enfin, les réalités perçues
par le regard.
Léon - L'intellect angélique
est-il, sous ce triple rapport, supérieur à
l'intellect humain ?
L'abbé - Vous comprenez tout de suite,
Léon, que la nature des anges étant supérieure
à celle des Hommes, tout ce qui fait partie de cette
nature participe nécessairement au degré de
perfection et de supériorité auquel elle est
élevée
Léon - C'est une conséquence
rigoureuse. Mais j'aimerais à vous voir entrer ici
dans de plus grands développements, et nous faire
toucher du regard la perfection intellectuelle de ces sublimes
Esprits
L'abbé - J'essaierai, Léon,
de répondre à vos désirs, malgré
la difficulté de l'entreprise. Il nous faut donc
d'abord, considérer la faculté intellectuelle
des anges en elle-même.
Faculté intellectuelle
de l'ange
L'abbé - L'intelligence angélique
a plus d'être que l'intelligence humaine.
Léon - Je ne saisis pas très
bien votre idée
L'abbé - Il m'est difficile, Léon,
de trouver une expression plus juste, et de m'expliquer
plus clairement. Rappelez-vous donc ce que nous avons dit
déjà. La création tout entière
n'est qu'une ascension constante de la créature.
Plus donc la créature est élevée dans
l'échelle de la création, et plus elle possède
d'être. Plus un Esprit occupe un rang supérieur
dans l'ordre des intelligences, plus il participe de Dieu,
plus est grande sa similitude avec l'entendement divin.
Les anges occupent un rang supérieur aux Hommes ;
leur être intellectuel dès lors, est nécessairement
plus complet que celui des humains : il est une expression
plus parfaite de l'intelligence divine.
Ils communient à Dieu d'une manière plus excellente
que tout autre créature.
Vision intellectuelle des anges
Si donc la faculté est parfaite, son acte doit être
également parfait ;
Léon - C'est évident, mais en
quoi consiste la perfection de la vision de l'ange ?
L'abbé - Cette vision est très
claire, très élevée, plus claire et
plus élevée que celle de l'Homme. Les anges
voient plus distinctement et de plus haut que nous tout
ce qu'ils voient
Léon - D'où leur vient une si
grande clarté ?
L'abbé - D'où vient la clarté,
Léon ?
Léon - De la lumière
L'abbé - Et la lumière éclaire-t-elle
au même degré tout ce qu'elle touche ?
Léon - Non. Plus on est près
du foyer lumineux et plus la clarté est grande ;
plus on est éloigné de ce foyer et plus la
clarté est faible
C'est une loi universelle.
L'abbé - Et maintenant, je vous demanderai
quel est le principe de la Lumière ?
Léon - C'est Dieu.
L'abbé - Ainsi Dieu est la source de
la Lumière qui éclaire toute intelligence
!
Léon - Je le crois : saint Jean ne
nous apprend-il pas que le Verbe divin est la Lumière
qui éclaire tout Homme venant en ce monde ? Ce qui
veut dire, je pense que cette Lumière éclaire
toute intelligence, l'angélique et l'humaine
L'abbé - Dès lors, Léon,
plus une intelligence s'approchera de Dieu, plus elle sera
éclairée de ses rayons ; plus au contraire
elle s'en éloignera, moins elle recevra de clarté.
Il a été écrit quelque part : «
Approche-toi de Dieu, et il t'illuminera
»
Arthur - Mais une proximité trop grande
de la Lumière produit une clarté si abondante,
qu'elle empêche la vision par l'éblouissement
qu'elle amène
L'abbé - Vous voulez rire, Arthur ;
vous faites sur des matières sérieuses, de
vaines plaisanteries ; cela n'est pas bien
L'organe visuel, faible ou malade, ne peut pas porter une
trop grande lumière. Et cela est vrai dans l'ordre
intellectuel et moral comme dans l'ordre physique. Voilà
pourquoi le vicieux et l'ignorant portent difficilement
les vérités pures. On déguise cette
infirmité sous le nom de force d'esprit ; mais les
esprits forts n'en restent pas moins ce qu'ils sont en réalité,
des esprits malades et infirmes que la vérité
fatigue.
En est-il ainsi des anges ?
Mais cette Lumière, resplendissante dans l'ange le
plus rapproché de Dieu, va en s'amoindrissant à
mesure qu'elle descend les degrés de l'échelle
des intelligences, si bien qu'arrivée à l'Homme,
placé au dernier rang, elle ne projette plus dans
son esprit, qu'une clarté timide
Léon - Vous avez dit aussi que la vision
des Esprits est très élevée : en quoi
consiste cette élévation ?
L'abbé - En ce que les anges voient
les choses d'une manière plus haute qu'il n'est donné
à l'Homme de les voir.
Nous avons peine à nous représenter cette
élévation de la vision angélique. Esprits
asservis à la matière, nous ne percevons les
corps que par leurs images sensibles et quant aux choses
spirituelles, les idées que nous nous en formons
portent toujours l'empreinte de notre double substance.
Nos conceptions intellectuelles ne se produisent guère
en nous à l'état d'idées pures
Or, tel est l'ange
Esprit immatériel, dénué
d'organisme ; ce qu'il voit, même les choses matérielles,
il ne le voit pas sur le support des sens, par le moyens
d'images sensibles. Sa vision, à laquelle l'imagination
n'a aucune part, est tout intellectuelle ; et il voit tout
ce qu'il connaît naturellement par un lumière
intelligible.
Léon - Je crois comprendre votre idée
: les Esprits, immatériels, n'ont pas de corps ;
ils ne peuvent donc pas voir les objets d'une vue physique,
par un organe corporel
L'abbé - Léon, j'aime à
vous voir cette persévérance dans l'étude
sans laquelle il n'est pas de progrès possible. Vous
me demandez si les anges connaissent leur substance. Assurément,
Léon, parce qu'ils se connaissent eux-mêmes
; c'est de toute évidence.
[
]
Vous pouvez comprendre maintenant combien la vision intellectuelle
de l'ange est supérieure à celle de l'Homme.
Ces purs Esprits voient les choses à une très
grande hauteur. Les images qui les leur représentent
partent d'en haut ; elles leur viennent immédiatement
de la sagesse infinie
Telle est la vision de l'ange : Dans une seule idée,
il en voit une multitude d'autres qui y sont renfermées
; il découvre dans un seul principe, les conséquences
nombreuses qui en découlent ; dans une seule cause,
les effets multiples qu'elle peut produire
Léon - Je conçois parfaitement,
il me semble, la supériorité intellectuelle
des anges.
Si leur intelligence est plus forte, leur capacité
plus grande, leur vision plus claire et plus haute, nécessairement
aussi, ils connaîtront beaucoup plus de choses que
nous : leurs connaissances seront plus vastes et s'étendront
à plus d'objets que les nôtres.
L'abbé - C'est de toute évidence
: tout ce que peut un être d'un ordre inférieur,
celui qui est d'un ordre supérieur le peut aussi,
il peut même davantage
Objets des connaissances des
anges
L'abbé - Disons d'abord que les anges
connaissent chaque chose en particulier et tout le détail
du monde. Les saintes lettres ne nous permettent pas d'avoir
une opinion contraire : saint Paul, dans son épître
aux Hébreux, nous dit : « Tous les Esprits
sont chargés de l'administration providentielle des
choses d'ici-bas. Or, s'ils ne connaissaient pas chaque
chose en particulier, ils ne pourraient être une providence
pour tout ce qui se fait en ce monde
»
Léon - Mais comment les anges peuvent-ils
connaître chaque chose en particulier ? Leurs connaissances
dès lors doivent être prodigieusement étendues
L'abbé - Dieu et la création,
tel est l'objet de leurs connaissance naturelles. Ainsi,connaissance
de Dieu, des créatures et de leurs supports ; connaissance
des Esprits et de leurs facultés ; connaissance des
choses matérielles, des lois qui président
à leur formation, leur conservation, leur développement,
leur combinaison et leur transformation ; connaissance des
corps célestes, de leur mouvement, de leur lois et
de leurs influences ; connaissance des propriétés
diverses des minéraux, des végétaux,
des animaux, des fluides et des usages auxquels ils peuvent
servir ; connaissance de l'Homme dans sa double substance
; connaissance de son âme, de l'action de l'organisme
sur l'âme, des moyens d'influencer l'âme par
l'organisme et l'organisme par les divers éléments
que fournit la nature ; connaissance du corps humain,
de ses maladies avec leurs causes et leurs remèdes
; connaissance des peuples, des familles, des individus,
de leur histoire et de leurs langues ; connaissance des
vérités qui appartiennent au monde moral et
à l'essence des choses : voilà ce qu'il
faut nécessairement leur accorder.
L'Univers et tous ses êtres est à découvert
sous leur regard
Arthur - Connaissent-ils l'avenir et les secrets
des curs ?
L'abbé - Quant à l'avenir, il
y a des choses qu'ils peuvent connaître naturellement,
et d'autres qu'ils ignorent.
Comment pourrait-on refuser aux anges, si supérieurs
à nous, cette puissance de pénétration
?
Toutefois, cette pénétration a sa limite ;
il est un avenir qui leur est naturellement fermé
: c'est l'avenir qui dépend de la volonté
libre de l'Homme et des desseins secrets de Dieu. Ils ne
peuvent connaître cet avenir qu'autant qu'il plaira
à Dieu de le leur révéler
Léon - Et les choses secrètes,
les connaissent-ils ?
L'abbé - Je vous ferai remarquer d'abord
que ce qui est secret pour nous peut fort bien ne pas l'être
pour eux, comme nous voyons tous les jours des hommes pénétrer
des choses secrètes qui échappent aux Esprits
moins clairvoyants. Il est difficile de dire avec précision
ce qui sera ou ne sera pas secret pour ces Esprits dont
la clairvoyance saisit les choses dans leur moindre manifestation.
Les docteurs de l'Eglise cependant affirment sans hésitation
que les anges peuvent connaître les pensées
intimes de l'âme et les secrets des curs que
des signes extérieurs viennent leur révéler.
Nous-mêmes, ne jugeons-nous pas avec plus ou moins
d'assurance sur la physionomie, sur l'attitude, le langage,
la démarche, les mouvements et les actes des humains,
des pensées et des sentiments qui les animent ?
Pourquoi n'en serait-il pas ainsi des Esprits ?
« On peut connaître, dit saint Thomas, les pensées
du cur par leurs effets. Il n'y a pas que les anges
qui puissent ainsi le connaître, l'homme le peut également
; mais il lui faut d'autant plus de pénétration
que l'effet est plus caché. Car on connaît
la pensée de quelqu'un non-seulement par les actes
extérieurs, mais encore par le changement que son
visage subit. Ainsi, les médecins peuvent connaître
par le pouls certaines affections de l'esprit ; et à
plus forte raison les anges ou les démons peuvent-ils
connaître de la sorte puisqu'ils saisissent avec encore
plus de pénétration, les modifications cachées
que les corps subissent. De là, saint Augustin dit
que les démons connaissent avec la plus grande facilité,
les dispositions des Hommes, non-seulement celles qu'ils
expriment par la parole, mais encore celles qu'ils conçoivent
au fond de leur pensée
»
Mais si l'on renferme avec soin au dedans de soi et dans
le lus profond de son âme, ses pensées et ses
sentiments, sans les laisser se révéler par
aucune issue ; si la volonté les cache si bien qu'ils
ne se trahissent en rien, tous les Esprits invisibles ne
peuvent pas les connaître. Tel est le sentiment de
saint Thomas.
Léon - A la bonne heure ! Il faut que
nous ayons au plus profond de notre être un asile
secret et un sanctuaire intime, inaccessible à tout
autre qu'à Dieu où puissent se réfugier
nos pensées et nos affections les plus secrètes.
L'abbé - A plus forte raison, vous
le comprenez, les anges ne peuvent-ils pas connaître,
par leurs lumières naturelles, les desseins secrets
de la Providence ; et surtout les mystères de la
grâce qui dépendent de la volonté de
Dieu seul, leur sont naturellement cachés. Il faut
que Dieu les leur révèle pour qu'ils en aient
connaissance.
Arthur - Ils peuvent, sans doute, connaître
aussi les choses présentes qui arrivent à
des distances très éloignées
L'abbé - Cela est bien certain, Arthur.
D'abord, que sont les distances pour des Esprits ? Et comment
ces distances pourraient-elles opposer un obstacle à
leur vue ? Pour eux, il n'existe pas d'horizon. d'ailleurs,
ils peuvent se transporter d'un lieu à un autre avec
une célérité dont rien de terrestre
ne nous offre une image. Il suffit d'appliquer leur pensée
aux choses qui se passent dans les lieux les plus éloignés,
de regarder ce qui arrive, pour en avoir connaissance. Puis
enfin, comme nous le verrons tout à l'heure, ils
peuvent se dire les uns aux autres ce qu'ils ont vu dans
les diverses parties du globe et de l'Univers.
De l'amour des anges
L'abbé - La faculté d'aimer
est essentielle à toute nature intelligente ; car
un Esprit, c'est une substance douée d'amour comme
de connaissance. D'ailleurs, tout être renferme en
soi une inclination pour ce qui fait son bien propre. Cette
inclination est une sorte d'appétit naturel et comme
une faim, une soif de l'Etre nécessaire à
sa conservation, à sa vie et à son développement.
[
]
Comment pourraient-ils exprimer fidèlement la ressemblance
de Dieu et participer à sa béatitude et à
ses perfections s'ils n'étaient pas doués
d'amour ? Comment béniraient-ils le Seigneur ? Quelle
gloire, quels hommages auraient-ils à lui offrir
s'ils ne pouvaient lui présenter ceux du cur
?
Léon - Nous sont-ils supérieurs
en amour comme en intelligence ?
L'abbé - L'amour naît de la connaissance.
Si les anges voient mieux que nous le beau et le bon qui
se confondent avec le vrai, ils l'aimeront aussi plus fortement.
leur nature étant de beaucoup supérieure à
la nôtre, tout en eux est plus vigoureux, plus ferme,
plus robuste, plus durable, plus déterminé.
Leur amour doit naturellement avoir une consistance qui
manque à notre cur. Il ne saurait être
sujet aux faiblesses, à l'inconstance et à
la légèreté qui caractérisent
celui de l'Homme
Léon - Faut-il aussi admettre, dans
les anges, un amour de choix ou d'élection ?
L'abbé - Sans aucun doute, Léon.
Dans un Esprit créé, l'amour est honorable
et méritant qu'autant qu'il est libre. Si un être
ne se meut vers un autre que pa r un mouvement fatal, une
impulsion nécessitante, et non par son propre choix,
son acte ne peut lui être imputé : il appartient
à une force étrangère, et ne saurait
dès lors, lui procurer aucun bonheur.
Arthur - Les anges sont donc aussi des volontés
libres
De la volonté dans les anges
L'abbé - Qu'est-ce d'ailleurs que la
volonté ? Cette appétence se trouve au fond
de toute nature créée, dans les corps inorganiques,
dans les plantes, dans les animaux, dans l'Homme. Elle agit
dans chaque être d'une manière conforme à
sa nature ; et c'est pourquoi elle s'élève
en perfection à mesure que l'être lui-même
devient plus parfait. Attractive dans les corps inanimés,
instinctive dans les animaux, elle est intelligence dans
l'Esprit et y prend alors le nom de volonté.
« Dans les êtres intelligents, dit saint Thomas,
elle est plus parfaite
[
] Il est donc évident
que les anges ont la volonté, parce qu'ils connaissent
par l'entendement, le bien général et universel.
»
Cette volonté dans les anges comme dans l'Homme,
est douée du libre arbitre. Sans le libre arbitre,
ces Esprits seraient moins parfaits que l'Homme puisqu'ils
n'auraient pas la gloire de pouvoir faire des actes honorables.
D'ailleurs, Dieu les a créés pour la béatitude,
ils devaient la mériter. Or, point de mérite
sans actes libres.
Puis enfin, la liberté est l'essence de toute être
intelligent. « Partout où il y a intelligence,
il y a libre arbitre. D'où il est clair que les anges
possèdent cette faculté et d'une manière
plus excellente que les Hommes parce que leur intelligence
est plus parfaite. » [Saint Thomas]
Léon - Sous ce rapport, donc, les anges
nous surpassent encore !
L'abbé - Certainement, Léon,
la volonté de l'ange l'emporte de beaucoup, en vigueur,
sur la nôtre ; elle ne peut pas, vous devez le comprendre,
ressentir ces infirmités auxquelles est assujettie
la volonté humaine.
Arthur - Comment cela ?
L'abbé - Leur nature étant plus
vigoureuse, cette vigueur se retrouve nécessairement
dans les facultés de cette même nature.
Puis, Arthur, dans l'Homme, le corps appesantit l'âme,
n'est-il pas vrai ? et cet appesantissement est une cause
de faiblesse pour la volonté.
Arthur - C'est vrai, et les anges ne
sont pas sujets à ces infirmités causées
par un corps grossier et corruptible
L'abbé - Puis, encore, le peu de lumières
que nous possédons, lumières déjà
si faibles par elles-mêmes, si souvent encore obscurcies
par nos passions, nos désirs, nos craintes, ne sont-elles
pas une nouvelle cause d'infirmité qui affaiblit
notre volonté ?
Arthur - J'en conviens !
L'abbé - C'est par suite de ces défaillances
que la volonté de l'Homme est si incertaine, si hésitante,
si lente à se déterminer, si facile à
abandonner ses premiers desseins, si prompte quelquefois
à suivre une impulsion funeste. Il est rare de trouver
un Homme qui sache vouloir, et cependant, c'est cette volonté
qui fait les grands Hommes et les grandes uvres
Arthur - C'est encore vrai
L'abbé - L'ange ne connaît pas
ces causes de faiblesse et ne ressent en rien ces difficultés
si nuisibles à l'homme de bien.
Léon - Je conçois que la volonté
de l'ange, une fois déterminée, ne revienne
pas aisément sur elle-même, parce qu'ayant
vu d'une claire vue, toutes les suites de sa résolution,
et les voulant avec force, elle ne pleut plus trouver de
motifs capables de lui faire révoquer sa détermination.
L'abbé - Tous les Esprits angéliques
sont très arrêtés dans leurs entreprises ;
pour nous, les objets ne se présentent qu'à
demi, si bien qu'après de nouvelles réflexions,
nous avons de nouvelles vues qui nous font très souvent
chasser tout l'ordre de nos desseins
Les anges, au
contraire, embrassent tout leur objet du premier regard
avec toutes ses circonstances ; et partant, leur résolution
est fixe et déterminée
» Vous
venez d'entendre Bossuet, cet esprit élevé,
dans son « Sermon sur les démons »
il est inutile d'insister davantage sur ce point ; passons
donc à une autre faculté des anges
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