Des Esprits…

 


De la nature des Esprits angéliques et de leurs dons surnaturels…

 

 

   


L'abbé -
Vous comprenez tout d'abord, mes amis, que la nature angélique est nécessairement supérieure à celle de l'homme. Elle occupe un rang plus élevé dans la création ; et, comme l'avaient vu déjà les philosophes platoniciens, elle tient le milieu entre l'homme et Dieu. A cet égard, il y a unanimité complète chez tous les Pères. La croyance des peuples chrétiens et non chrétiens confirme la doctrine sur ce point ; et les paroles de saint Paul qui donne aux anges le nom de vertus, de principautés, de dominations, de puissances, ne nous laissent aucun doute sur la perfection de leur nature.

Quelle est la nature de ces intelligences, et quelles sont leurs perfections ?




De l'essence des anges…


L'abbé - Que les anges soient d'essence spirituelle, c'est une chose incontestable. La spiritualité de leur nature ne peut être l'objet d'un doute pour personne.

Léon - Le seul nom d'Esprit, indique la spiritualité de leur essence.

L'abbé -
Cependant, ne pourrait-on pas demander si cette spiritualité est telle qu'on doive regarder les anges comme absolument dégagés de toute espèce de corps ? Ici, les sages sont opposés aux sages : d'après saint Augustin, les anges se nourrissent d'une sorte de nourritures célestes supérieures aux grossiers aliments de la Terre. Saint Irénée n'exclut de leur nature que l'idée d'un corps grossier ; aussi leur attribue-t-il un corps subtil. Clément d'Alexandrie leur donne une sorte d'enveloppe ou de corps subtil. Saint Méthode et Théognoste leur donne aussi un corps subtil ; Origène va jusqu'à déterminer la forme de ce corps. On peut citer encore comme attribuant un corps aux anges, saint Cyrille et dans l'Eglise latine, Tertullien, saint Augustin, Cassien. Claude Mamert dit qu'ils sont composés d'une nature corporelle et d'une nature spirituelle tout-à-fait comme l'Homme ; Honorius et saint Bernard leur donnent aussi un corps.
Ajoutez à tous ces noms : Arnobe, Minutius Félix, saint Ephrem, saint Bazile, saint Grégoire de Nazianze, saint Césaire, saint Fulgence, Raban Maur…
[…]
La raison sur laquelle on fonde l'idée que les anges ont un corps, c'est qu'étant quelque part, sans être présents en tout lieu, on ne peut se les représenter que limités dans l'espace. On s'appuie encore sur les angélophanies ou apparitions d'anges, et sur la mention des corps célestes que l'on trouve dans saint Paul. [Klée]

Les partisans du second sentiments s'appuient sur un passage de la Sainte-Ecriture. David dit dans les Psaumes que Dieu fait des Esprits, ses anges, c'est-à-dire ses messagers. De là on conclut leur spiritualité pure.

Léon - Cette conclusion est-elle bien légitime ? L'Homme aussi est appelé un Esprit ; s'ensuit-il qu'il soit un Esprit pur ?

L'abbé - On s'appuie encore sur le texte du quatrième concile de Latran…
Si l'on considère la création tout entière comme une communication graduée de la bonté divine, les créatures qui occupent le sommet de la création se trouvant les plus rapprochées de Dieu, sont par là même, la plus vive image de la splendeur divine, et, comme s'exprime saint Denys, les plus purs rayons de sa bonté. Elles doivent donc représenter plus fidèlement la spiritualité absolue de Dieu.

Léon - Cette conception, qui ne manque certainement pas de grandeur, ne prouve cependant pas, il me semble du moins, que tous les anges soient dépourvus de corps. Qu'il y en ait un certain nombre, les plus élevés, ceux qui touchent de plus près à Dieu, qui soient sans aucune espèce d'enveloppe matérielle, cela ressort du raisonnement de saint Thomas ; que tous soient dépourvus de corps grossiers et charnels comme les nôtres, leur supériorité sur nous le demande et l'enseignement unanime des Pères le confirme ; mais s'il y a un ordre, une gradation aussi, une diversité parmi les anges, s'ils forment différentes espèces, pourquoi les plus voisins de l'Homme et les moins rapprochés de Dieu n'auraient-ils pas un corps subtil et aérien ? […] En sorte que le monde invisible soit constitué sur le même plan que le monde visible…

L'abbé - Sans aucun doute, Léon, les choses visibles sont la manifestation des invisibles selon saint Paul. « Les anges sont donc tous d'espèce différente. » Et voici la raison qu'en donne saint Thomas, dont je viens de vous citer les paroles : « Dans les substances immatérielles, il ne peut y avoir de diversité numérique sans une différence spécifique et sans inégalité naturelle.
Chaque ange se distingue, n'est-il pas vrai, de tout autre ange ? Il constitue une individualité propre, une forme immatérielle qui ne saurait se confondre avec une autre.

Arthur - Je le comprends.

L'abbé - Il y a donc dans cette forme spirituelle quelque chose qui la distingue et la spécifie.

Arthur - Evidemment.

L'abbé - Ce quelque chose de distinctif ne se trouve pas dans la matière, puisque les anges sont immatériels.

Arthur - Je le comprends encore.

L'abbé - Dès lors, ce qui les différencie se trouve dans la substance spirituelle elle-même ?

Arthur - J'en conviens…

L'abbé - Ainsi tous les Pères, et après eux, tous les théologiens admettent une progression ascendante dans le monde spirituel. Plus tard, nous reviendrons sur ce sujet, et nous en parlerons plus en détail quand la suite des choses que nous avons à traiter nous ramènera de nouveau sur ce terrain…

Léon - L'hypothèse que j'émets concilie les deux opinions contraires des saint Pères, et de plus, elle offre l'avantage de nous montrer, entre l'Homme et l'Esprit pur, une transition douce, un passage graduellement amené par des corps qui, en se subtilisant, sembleraient s'avancer vers la spiritualité et atteindre les dernières limites de la perfectibilité de la matière avant de disparaître pour ne plus laisser voir au-dessus que l'incorporéité sans mélange.

L'abbé - Quoi qu'il en soit, l'opinion qui voit dans les anges des substances absolument immatérielles est certainement la plus commune et la plus générale. Elle s'appuie d'ailleurs sur le témoignage de saint Denys qui, peut-être, l'avait reçue de saint Paul.




Facultés naturelles des anges…

L'abbé - Comme ce titre l'indique, nous n'avons à parler ici que des puissances inhérentes à la nature des anges, et non pas des dons surnaturels, soit de la grâce, soit de la gloire que Dieu peut leur avoir accordés.
Arthur : Nous allons donc apprendre seulement quelles sont les facultés et les perfections naturelles de l'essence angélique. Parlez, je vous écoute de mes deux oreilles, avec l'attention d'un esprit curieux de nouveautés…

L'abbé - Un Esprit, Arthur, ne peut se concevoir que comme une substance essentiellement douée d'intelligence, d'affection, de volonté libre, d'activité et de causalité.

Arthur - C'est juste !

L'abbé - il y a donc dans les anges, intelligence, amour, volonté libre, mouvement et causalité. Il nous faut donc nous occuper une instant de chacune de ces puissances…


De l'intelligence des anges…

L'abbé - L'intelligence est la faculté de connaître et connaître, c'est voir ce qui est : le vrai…
Trois choses sont à distinguer dans l'intelligence des anges :
     1.- la faculté de connaître…
     2.- l'acte de cette vertu ou la vision…
     3.- le terme de cet acte, son résultat, ou la connaissance des choses vues par l'Esprit angélique de même que vous distinguez dans l'organisme humain l'organe visuel ou l'œil corporel, la vue et enfin, les réalités perçues par le regard.

Léon - L'intellect angélique est-il, sous ce triple rapport, supérieur à l'intellect humain ?

L'abbé - Vous comprenez tout de suite, Léon, que la nature des anges étant supérieure à celle des Hommes, tout ce qui fait partie de cette nature participe nécessairement au degré de perfection et de supériorité auquel elle est élevée…

Léon - C'est une conséquence rigoureuse. Mais j'aimerais à vous voir entrer ici dans de plus grands développements, et nous faire toucher du regard la perfection intellectuelle de ces sublimes Esprits…

L'abbé - J'essaierai, Léon, de répondre à vos désirs, malgré la difficulté de l'entreprise. Il nous faut donc d'abord, considérer la faculté intellectuelle des anges en elle-même.


Faculté intellectuelle de l'ange…

L'abbé - L'intelligence angélique a plus d'être que l'intelligence humaine.

Léon - Je ne saisis pas très bien votre idée…

L'abbé - Il m'est difficile, Léon, de trouver une expression plus juste, et de m'expliquer plus clairement. Rappelez-vous donc ce que nous avons dit déjà. La création tout entière n'est qu'une ascension constante de la créature. Plus donc la créature est élevée dans l'échelle de la création, et plus elle possède d'être. Plus un Esprit occupe un rang supérieur dans l'ordre des intelligences, plus il participe de Dieu, plus est grande sa similitude avec l'entendement divin.
Les anges occupent un rang supérieur aux Hommes ; leur être intellectuel dès lors, est nécessairement plus complet que celui des humains : il est une expression plus parfaite de l'intelligence divine.
Ils communient à Dieu d'une manière plus excellente que tout autre créature.


Vision intellectuelle des anges…

Si donc la faculté est parfaite, son acte doit être également parfait ;

Léon - C'est évident, mais en quoi consiste la perfection de la vision de l'ange ?

L'abbé - Cette vision est très claire, très élevée, plus claire et plus élevée que celle de l'Homme. Les anges voient plus distinctement et de plus haut que nous tout ce qu'ils voient…

Léon - D'où leur vient une si grande clarté ?

L'abbé - D'où vient la clarté, Léon ?

Léon - De la lumière…

L'abbé - Et la lumière éclaire-t-elle au même degré tout ce qu'elle touche ?

Léon - Non. Plus on est près du foyer lumineux et plus la clarté est grande ; plus on est éloigné de ce foyer et plus la clarté est faible… C'est une loi universelle.

L'abbé - Et maintenant, je vous demanderai quel est le principe de la Lumière ?

Léon - C'est Dieu.

L'abbé - Ainsi Dieu est la source de la Lumière qui éclaire toute intelligence !

Léon - Je le crois : saint Jean ne nous apprend-il pas que le Verbe divin est la Lumière qui éclaire tout Homme venant en ce monde ? Ce qui veut dire, je pense que cette Lumière éclaire toute intelligence, l'angélique et l'humaine…

L'abbé - Dès lors, Léon, plus une intelligence s'approchera de Dieu, plus elle sera éclairée de ses rayons ; plus au contraire elle s'en éloignera, moins elle recevra de clarté. Il a été écrit quelque part : « Approche-toi de Dieu, et il t'illuminera… »

Arthur - Mais une proximité trop grande de la Lumière produit une clarté si abondante, qu'elle empêche la vision par l'éblouissement qu'elle amène…

L'abbé - Vous voulez rire, Arthur ; vous faites sur des matières sérieuses, de vaines plaisanteries ; cela n'est pas bien…
L'organe visuel, faible ou malade, ne peut pas porter une trop grande lumière. Et cela est vrai dans l'ordre intellectuel et moral comme dans l'ordre physique. Voilà pourquoi le vicieux et l'ignorant portent difficilement les vérités pures. On déguise cette infirmité sous le nom de force d'esprit ; mais les esprits forts n'en restent pas moins ce qu'ils sont en réalité, des esprits malades et infirmes que la vérité fatigue.
En est-il ainsi des anges ?
Mais cette Lumière, resplendissante dans l'ange le plus rapproché de Dieu, va en s'amoindrissant à mesure qu'elle descend les degrés de l'échelle des intelligences, si bien qu'arrivée à l'Homme, placé au dernier rang, elle ne projette plus dans son esprit, qu'une clarté timide…

Léon - Vous avez dit aussi que la vision des Esprits est très élevée : en quoi consiste cette élévation ?

L'abbé - En ce que les anges voient les choses d'une manière plus haute qu'il n'est donné à l'Homme de les voir.
Nous avons peine à nous représenter cette élévation de la vision angélique. Esprits asservis à la matière, nous ne percevons les corps que par leurs images sensibles et quant aux choses spirituelles, les idées que nous nous en formons portent toujours l'empreinte de notre double substance. Nos conceptions intellectuelles ne se produisent guère en nous à l'état d'idées pures…
Or, tel est l'ange… Esprit immatériel, dénué d'organisme ; ce qu'il voit, même les choses matérielles, il ne le voit pas sur le support des sens, par le moyens d'images sensibles. Sa vision, à laquelle l'imagination n'a aucune part, est tout intellectuelle ; et il voit tout ce qu'il connaît naturellement par un lumière intelligible.

Léon - Je crois comprendre votre idée : les Esprits, immatériels, n'ont pas de corps ; ils ne peuvent donc pas voir les objets d'une vue physique, par un organe corporel…

L'abbé - Léon, j'aime à vous voir cette persévérance dans l'étude sans laquelle il n'est pas de progrès possible. Vous me demandez si les anges connaissent leur substance. Assurément, Léon, parce qu'ils se connaissent eux-mêmes ; c'est de toute évidence.
[…]
Vous pouvez comprendre maintenant combien la vision intellectuelle de l'ange est supérieure à celle de l'Homme. Ces purs Esprits voient les choses à une très grande hauteur. Les images qui les leur représentent partent d'en haut ; elles leur viennent immédiatement de la sagesse infinie…
Telle est la vision de l'ange : Dans une seule idée, il en voit une multitude d'autres qui y sont renfermées ; il découvre dans un seul principe, les conséquences nombreuses qui en découlent ; dans une seule cause, les effets multiples qu'elle peut produire…

Léon - Je conçois parfaitement, il me semble, la supériorité intellectuelle des anges.
Si leur intelligence est plus forte, leur capacité plus grande, leur vision plus claire et plus haute, nécessairement aussi, ils connaîtront beaucoup plus de choses que nous : leurs connaissances seront plus vastes et s'étendront à plus d'objets que les nôtres.

L'abbé - C'est de toute évidence : tout ce que peut un être d'un ordre inférieur, celui qui est d'un ordre supérieur le peut aussi, il peut même davantage…


Objets des connaissances des anges…

L'abbé - Disons d'abord que les anges connaissent chaque chose en particulier et tout le détail du monde. Les saintes lettres ne nous permettent pas d'avoir une opinion contraire : saint Paul, dans son épître aux Hébreux, nous dit : « Tous les Esprits sont chargés de l'administration providentielle des choses d'ici-bas. Or, s'ils ne connaissaient pas chaque chose en particulier, ils ne pourraient être une providence pour tout ce qui se fait en ce monde… »

Léon - Mais comment les anges peuvent-ils connaître chaque chose en particulier ? Leurs connaissances dès lors doivent être prodigieusement étendues…

L'abbé - Dieu et la création, tel est l'objet de leurs connaissance naturelles. Ainsi,connaissance de Dieu, des créatures et de leurs supports ; connaissance des Esprits et de leurs facultés ; connaissance des choses matérielles, des lois qui président à leur formation, leur conservation, leur développement, leur combinaison et leur transformation ; connaissance des corps célestes, de leur mouvement, de leur lois et de leurs influences ; connaissance des propriétés diverses des minéraux, des végétaux, des animaux, des fluides et des usages auxquels ils peuvent servir ; connaissance de l'Homme dans sa double substance ; connaissance de son âme, de l'action de l'organisme sur l'âme, des moyens d'influencer l'âme par l'organisme et l'organisme par les divers éléments que fournit la nature ; connaissance du corps humain, de ses maladies avec leurs causes et leurs remèdes ; connaissance des peuples, des familles, des individus, de leur histoire et de leurs langues ; connaissance des vérités qui appartiennent au monde moral et à l'essence des choses : voilà ce qu'il faut nécessairement leur accorder.
L'Univers et tous ses êtres est à découvert sous leur regard…

Arthur - Connaissent-ils l'avenir et les secrets des cœurs ?

L'abbé - Quant à l'avenir, il y a des choses qu'ils peuvent connaître naturellement, et d'autres qu'ils ignorent.
Comment pourrait-on refuser aux anges, si supérieurs à nous, cette puissance de pénétration ?
Toutefois, cette pénétration a sa limite ; il est un avenir qui leur est naturellement fermé : c'est l'avenir qui dépend de la volonté libre de l'Homme et des desseins secrets de Dieu. Ils ne peuvent connaître cet avenir qu'autant qu'il plaira à Dieu de le leur révéler…

Léon - Et les choses secrètes, les connaissent-ils ?

L'abbé - Je vous ferai remarquer d'abord que ce qui est secret pour nous peut fort bien ne pas l'être pour eux, comme nous voyons tous les jours des hommes pénétrer des choses secrètes qui échappent aux Esprits moins clairvoyants. Il est difficile de dire avec précision ce qui sera ou ne sera pas secret pour ces Esprits dont la clairvoyance saisit les choses dans leur moindre manifestation.
Les docteurs de l'Eglise cependant affirment sans hésitation que les anges peuvent connaître les pensées intimes de l'âme et les secrets des cœurs que des signes extérieurs viennent leur révéler. Nous-mêmes, ne jugeons-nous pas avec plus ou moins d'assurance sur la physionomie, sur l'attitude, le langage, la démarche, les mouvements et les actes des humains, des pensées et des sentiments qui les animent ? Pourquoi n'en serait-il pas ainsi des Esprits ?
« On peut connaître, dit saint Thomas, les pensées du cœur par leurs effets. Il n'y a pas que les anges qui puissent ainsi le connaître, l'homme le peut également ; mais il lui faut d'autant plus de pénétration que l'effet est plus caché. Car on connaît la pensée de quelqu'un non-seulement par les actes extérieurs, mais encore par le changement que son visage subit. Ainsi, les médecins peuvent connaître par le pouls certaines affections de l'esprit ; et à plus forte raison les anges ou les démons peuvent-ils connaître de la sorte puisqu'ils saisissent avec encore plus de pénétration, les modifications cachées que les corps subissent. De là, saint Augustin dit que les démons connaissent avec la plus grande facilité, les dispositions des Hommes, non-seulement celles qu'ils expriment par la parole, mais encore celles qu'ils conçoivent au fond de leur pensée…»

Mais si l'on renferme avec soin au dedans de soi et dans le lus profond de son âme, ses pensées et ses sentiments, sans les laisser se révéler par aucune issue ; si la volonté les cache si bien qu'ils ne se trahissent en rien, tous les Esprits invisibles ne peuvent pas les connaître. Tel est le sentiment de saint Thomas.

Léon - A la bonne heure ! Il faut que nous ayons au plus profond de notre être un asile secret et un sanctuaire intime, inaccessible à tout autre qu'à Dieu où puissent se réfugier nos pensées et nos affections les plus secrètes.

L'abbé - A plus forte raison, vous le comprenez, les anges ne peuvent-ils pas connaître, par leurs lumières naturelles, les desseins secrets de la Providence ; et surtout les mystères de la grâce qui dépendent de la volonté de Dieu seul, leur sont naturellement cachés. Il faut que Dieu les leur révèle pour qu'ils en aient connaissance.

Arthur -
Ils peuvent, sans doute, connaître aussi les choses présentes qui arrivent à des distances très éloignées…

L'abbé - Cela est bien certain, Arthur. D'abord, que sont les distances pour des Esprits ? Et comment ces distances pourraient-elles opposer un obstacle à leur vue ? Pour eux, il n'existe pas d'horizon. d'ailleurs, ils peuvent se transporter d'un lieu à un autre avec une célérité dont rien de terrestre ne nous offre une image. Il suffit d'appliquer leur pensée aux choses qui se passent dans les lieux les plus éloignés, de regarder ce qui arrive, pour en avoir connaissance. Puis enfin, comme nous le verrons tout à l'heure, ils peuvent se dire les uns aux autres ce qu'ils ont vu dans les diverses parties du globe et de l'Univers.





De l'amour des anges…

L'abbé - La faculté d'aimer est essentielle à toute nature intelligente ; car un Esprit, c'est une substance douée d'amour comme de connaissance. D'ailleurs, tout être renferme en soi une inclination pour ce qui fait son bien propre. Cette inclination est une sorte d'appétit naturel et comme une faim, une soif de l'Etre nécessaire à sa conservation, à sa vie et à son développement.
[…]
Comment pourraient-ils exprimer fidèlement la ressemblance de Dieu et participer à sa béatitude et à ses perfections s'ils n'étaient pas doués d'amour ? Comment béniraient-ils le Seigneur ? Quelle gloire, quels hommages auraient-ils à lui offrir s'ils ne pouvaient lui présenter ceux du cœur ?

Léon - Nous sont-ils supérieurs en amour comme en intelligence ?

L'abbé - L'amour naît de la connaissance. Si les anges voient mieux que nous le beau et le bon qui se confondent avec le vrai, ils l'aimeront aussi plus fortement. leur nature étant de beaucoup supérieure à la nôtre, tout en eux est plus vigoureux, plus ferme, plus robuste, plus durable, plus déterminé. Leur amour doit naturellement avoir une consistance qui manque à notre cœur. Il ne saurait être sujet aux faiblesses, à l'inconstance et à la légèreté qui caractérisent celui de l'Homme

Léon - Faut-il aussi admettre, dans les anges, un amour de choix ou d'élection ?

L'abbé - Sans aucun doute, Léon. Dans un Esprit créé, l'amour est honorable et méritant qu'autant qu'il est libre. Si un être ne se meut vers un autre que pa r un mouvement fatal, une impulsion nécessitante, et non par son propre choix, son acte ne peut lui être imputé : il appartient à une force étrangère, et ne saurait dès lors, lui procurer aucun bonheur.

Arthur - Les anges sont donc aussi des volontés libres…





De la volonté dans les anges…

L'abbé - Qu'est-ce d'ailleurs que la volonté ? Cette appétence se trouve au fond de toute nature créée, dans les corps inorganiques, dans les plantes, dans les animaux, dans l'Homme. Elle agit dans chaque être d'une manière conforme à sa nature ; et c'est pourquoi elle s'élève en perfection à mesure que l'être lui-même devient plus parfait. Attractive dans les corps inanimés, instinctive dans les animaux, elle est intelligence dans l'Esprit et y prend alors le nom de volonté.
« Dans les êtres intelligents, dit saint Thomas, elle est plus parfaite… […] Il est donc évident que les anges ont la volonté, parce qu'ils connaissent par l'entendement, le bien général et universel. »
Cette volonté dans les anges comme dans l'Homme, est douée du libre arbitre. Sans le libre arbitre, ces Esprits seraient moins parfaits que l'Homme puisqu'ils n'auraient pas la gloire de pouvoir faire des actes honorables.
D'ailleurs, Dieu les a créés pour la béatitude, ils devaient la mériter. Or, point de mérite sans actes libres.
Puis enfin, la liberté est l'essence de toute être intelligent. « Partout où il y a intelligence, il y a libre arbitre. D'où il est clair que les anges possèdent cette faculté et d'une manière plus excellente que les Hommes parce que leur intelligence est plus parfaite. » [Saint Thomas]

Léon - Sous ce rapport, donc, les anges nous surpassent encore !

L'abbé - Certainement, Léon, la volonté de l'ange l'emporte de beaucoup, en vigueur, sur la nôtre ; elle ne peut pas, vous devez le comprendre, ressentir ces infirmités auxquelles est assujettie la volonté humaine.

Arthur - Comment cela ?

L'abbé - Leur nature étant plus vigoureuse, cette vigueur se retrouve nécessairement dans les facultés de cette même nature.
Puis, Arthur, dans l'Homme, le corps appesantit l'âme, n'est-il pas vrai ? et cet appesantissement est une cause de faiblesse pour la volonté.

Arthur - C'est vrai, et les anges ne sont pas sujets à ces infirmités causées par un corps grossier et corruptible…

L'abbé - Puis, encore, le peu de lumières que nous possédons, lumières déjà si faibles par elles-mêmes, si souvent encore obscurcies par nos passions, nos désirs, nos craintes, ne sont-elles pas une nouvelle cause d'infirmité qui affaiblit notre volonté ?

Arthur - J'en conviens !

L'abbé -
C'est par suite de ces défaillances que la volonté de l'Homme est si incertaine, si hésitante, si lente à se déterminer, si facile à abandonner ses premiers desseins, si prompte quelquefois à suivre une impulsion funeste. Il est rare de trouver un Homme qui sache vouloir, et cependant, c'est cette volonté qui fait les grands Hommes et les grandes œuvres…

Arthur - C'est encore vrai…

L'abbé - L'ange ne connaît pas ces causes de faiblesse et ne ressent en rien ces difficultés si nuisibles à l'homme de bien.

Léon - Je conçois que la volonté de l'ange, une fois déterminée, ne revienne pas aisément sur elle-même, parce qu'ayant vu d'une claire vue, toutes les suites de sa résolution, et les voulant avec force, elle ne pleut plus trouver de motifs capables de lui faire révoquer sa détermination.

L'abbé - Tous les Esprits angéliques sont très arrêtés dans leurs entreprises ; pour nous, les objets ne se présentent qu'à demi, si bien qu'après de nouvelles réflexions, nous avons de nouvelles vues qui nous font très souvent chasser tout l'ordre de nos desseins… Les anges, au contraire, embrassent tout leur objet du premier regard avec toutes ses circonstances ; et partant, leur résolution est fixe et déterminée… » Vous venez d'entendre Bossuet, cet esprit élevé, dans son « Sermon sur les démons »
il est inutile d'insister davantage sur ce point ; passons donc à une autre faculté des anges…

   
   

 

   
   

De la faculté de transport des anges...

 
Des Esprits…