Les morts gouvernent les vivants…

Auguste Comte

 

Tout effet a une cause, tout effet intelligent a une cause intelligente ;
la puissance de la cause intelligente est en raison de la grandeur de l'effet.

Allan Kardec

 

 

 

 

 
Spirite
   

Décembre 1847… à Hydesville, petite ville de l'état de New York, des événements insolites allaient bouleverser la vie des habitants de la demeure du Pasteur Fox.
Tout débuta par des coups qui commencèrent à retentir dans la maison ; ces coups semblaient venir de la cave et de la chambre à coucher ; coups inexpliqués mais persistants ; et ce qui, de prime abord, pouvait sembler un peu terrifiant devint très vite pour Margaret et Kate, les deux fillettes du Pasteur Fox, âgées respectivement de quinze et douze ans, un amusement qui allait les amener, au moyen de claquements de doigts puis de coups frappés, à entrer régulièrement en contact avec un "Invisible" qu'elles surnommèrent Splitfoot -Pied Fourchu- qui accepta de répondre à ce jeu.
Les fillettes s'en amusaient follement sans savoir que ce jeu si divertissant cachait autre chose.
Autre chose, mais quoi ?…
Très vite, ce divertissement prit une autre tournure : aux coups succédèrent d'autres manifestations, d'autres causes de désordre, d'autres causes d'effroi car dans la chambre qu'occupaient les deux enfants, des meubles fort lourds furent déplacés, le lit dans lequel dormaient les fillettes fut balancé et secoué, puis soulevé par des mains invisibles, et Margaret et Kate se plaignirent souvent de se sentir touchées par des mains glacées.

Les jours passèrent, identiques dans leurs manifestations et ce jusqu'en février 1848, date à laquelle la quiétude de la famille Fox fut troublée par une recrudescence de ces manifestations qui duraient parfois des nuits entières, interdisant tout repos à la maisonnée ; Mr. et Mrs. Fox, troublés, se mirent alors à réagir sérieusement à ce qu'ils avaient jusque-là voulu ignorer ou un peu dédaigné. Ils cherchèrent, mais en vain, quelles étaient les causes de ces bouleversements qui commençaient à les inquiéter.
C'est dans la nuit du 31 mars que les manifestations se firent plus nombreuses, plus violentes, tellement insoutenables que les fillettes, un peu dépassées par les événements, appelèrent leurs parents qui, bien sûr, tentèrent encore une fois de trouver une explication matérielle aux bruits en tentant d'ouvrir portes et fenêtres dont les craquements et les grincements étaient immédiatement imites par une personne invisible.
Mais quelle cause attribuer aux déplacements de ces meubles si lourds que seuls plusieurs hommes auraient pu bouger ?…
C'est alors que Kate eut une inspiration : moins effrayée, puisque dans l'insouciance de son jeune âge elle s'était habituée aux faits, elle claqua des doigts en disant :
« Monsieur Splitfoot, faites comme moi !… »
et à la stupéfaction des parents, le même nombre de coups retentit, avec les mêmes claquements de doigts.
Fort impressionnée, Mrs. Fox décida cependant pour se rendre compte de la véracité des choses, d'entamer un dialogue avec cette force à laquelle elle ne pouvait donner de nom. Elle posa des questions sur l'âge de ses filles, et la réponse étant satisfaisante, elle demanda que lui soit précisé le nombre de ses enfants.
Sept coups furent frappés.
Erreur !… Mrs. Fox n'avait que six enfants…
La question fut de nouveau posée et la même réponse fut donnée. Stupéfaite et troublée, car consciente d'une vérité que cette force invisible ne pouvait connaître, Mrs. Fox formula sa question d'une autre manière :
« Combien d'enfants vivants ?… »
« Six. »
« Combien de morts ? »
« Un !… »
La puissance avec laquelle le coup avait résonné semblait prouver que le mystérieux correspondant ne souffrait pas de contradiction. Mais comment aurait-il pu en être autrement puisque tout était vrai !
Les questions se succédèrent alors :
« Etes-vous un homme ?… »
Pas de réponse.
« Etes-vous un Esprit ?… »
L'énergie des coups confirma cette vérité, et Mrs. Fox, pensant peut-être mettre l'Esprit -elle pouvait maintenant lui donner ce nom- en difficulté, lui demanda s'il accepterait de se communiquer à d'autres personnes étrangères à la famille. La réponse étant affirmative, on invita des voisins à participer à ces expériences qui durèrent fort longtemps, apportant des réponses laconiques, mais réelles, aux multiples questions posées. Au fil des jours, on perfectionna la technique des contacts, et un jour, un dénommé Isaac Post eut l'idée de réciter les lettres de l'alphabet en demandant à l'Esprit de désigner d'un coup, au passage, celles qui pouvaient former les mots de sa réponse. Ce qui fut fait.
On remarqua que ceci se passait principalement en présence des deux fillettes, surtout de Kate, et l'on dut admettre qu'elles pouvaient, par leur présence, jouer un rôle d'intermédiaire. On venait de constater, de découvrir -ou plutôt de redécouvrir- la médiumnité.

A travers ces contacts, l'Esprit qui se manifestait déclara se nommer Charles Rosna, dit qu'il avait été colporteur, qu'il avait été assassiné dans cette maison pour être dépouille de son argent, que son cadavre avait été enterré dans la cave, cette cave même où avaient été entendus les premiers coups, et qu'il souhaitait une sépulture digne, ce qui lui permettrait de trouver enfin le repos. On fouilla le sol de la cave et à une profondeur d'un mètre cinquante ; Mr. David Fox et ses amis découvrirent une planche, puis en creusant plus profond, du charbon de bois, de la chaux vive, des cheveux et des os qu'une expertise déclara être des ossements humains auxquels fut donnée une sépulture digne, avec un service religieux.

Ce ne fut qu'une cinquantaine d'années plus tard qu'on découvrit d'autres ossements sous le mur de la cave, et près de ces ossements une boîte de colporteur en fer blanc ;
cette découverte entérinait la véracité des affirmations des deux fillettes car l'enquête détermina que le corps avait, dans un premier temps, été enterré avec de la chaux vive dans le sol de la cave, puis, le criminel craignant qu'il fût découvert, l'exhuma, tout au moins en partie, et l'enterra plus à l'abri sous le mur.

Un article parut le 23 novembre 1904 dans le Journal de Boston, publication non spiritualiste, réglant définitivement la question :

« Rochester, N.Y. 22 novembre 1904 : Le squelette de l'homme censé avoir causé les coups entendus pour la première fois par les sœurs Fox en 1848 a été découvert dans les murs de la maison occupée par les sœurs, et les innocente de la seule ombre de doute qui ternissait encore leur sincérité dans la découverte de la communication avec les Esprits.
Les sœurs Fox affirmaient avoir appris à communiquer avec l'esprit d'un homme, et qu'il leur avait dit avoir été assassiné et enterré dans la cave. Des fouilles successives ne réussirent pas -bien qu'ayant permis la découverte d'ossements et de cheveux humains- à localiser le reste du corps afin de donner une preuve matérielle à leur récit. La découverte fut le fait d'écoliers qui jouaient dans la cave d'un bâtiment de Hydesville connu sous le nom de "Maison du Revenant" où les sœurs Fox entendirent les merveilleux coups.
Willian H. Hyde, respectable citoyen de Clyde, propriétaire de la maison, fit une enquête et découvrit un squelette humain presque complet entre la terre et des murs croulants de la cave, indubitablement celui du colporteur qui, affirma-t-on, fut assassiné dans la chambre "Est" de la maison et dont le cadavre était caché dans la cave. Mr. Hyde a averti les parents des sœurs Fox et l'avis de découverte sera envoyé à l'Ordre National Spiritualiste, dont les membres se rappellent avoir fait le pèlerinage à la "Maison du Revenant", comme on l'appelait couramment. La découverte des ossements corrobore en pratique la déclaration sous serment de Margaret Fox du 11 avril 1848. »

Après l'inhumation des premiers ossements le calme revint et les manifestations difficiles cessèrent mais ce phénomène qui allait révolutionner l'Amérique et… le Monde, allait, hélas, entraîner un long supplice pour la famille Fox.
Insultée, injuriée, malmenée, toute la famille partit pour Rochester sur les conseils répétés de Rosna -qui se manifestait amicalement de temps en temps- et qui insistait pour leur dire : “Les temps sont venus de faire connaître la vérité au monde entier…” ; et Margaret et Kate devinrent les interprètes de leurs amis invisibles, leurs missionnaires. Ce faisant, elles eurent à subir la haine des congrégations religieuses et furent accusées d'imposture. Elles furent, après des contrôles les plus humiliants, sommées de renoncer à leurs pratiques. Mais Mr. et Mrs. Fox, conscients de la valeur de ces découvertes passèrent outre et, partant, se firent chasser de leur Eglise, comme le furent d'ailleurs tous ceux qui avaient adhéré à ces phénomènes qui laissaient entrevoir de consolantes vérités.
Nihil novi sub sole !…
L'intolérance religieuse n'est-elle pas toujours la même ?…

Pour répondre aux attaques, les Fox proposèrent une séance publique à laquelle, on s'en doute, assista toute la population de Rochester qui voulait voir triompher "la foi des aïeux…"
Je vais laisser la parole à un écrivain de l'époque qui, témoin des faits, va nous les faire revivre :
« La séance débuta par une conférence où furent exposés, dans leur irréfutable simplicité, les phénomènes dès les premiers jours de leur apparition.
Cette communication accueillie, cela va sans dire, par de formidables huées, aboutit cependant, chose assez étrange, à la nomination d'une commission chargée de faire sur les faits incriminés une sérieuse et rigoureuse enquête. Or, à la stupéfaction et à l'indignation générales, ne voilà-t-il pas que les membres de cette commission, comme malgré eux et en dépit de tout le violent déplaisir qu'ils en éprouvaient, furent contraints de reconnaître et de proclamer que nulle trace de fraude n'avait pu être découverte.
Fureur de la foule bien pensante !…

Nomination d'une deuxième commission qui, naturellement, redoubla de rigueur dans ses procédés d'investigation. On fit fouiller les jeunes filles ; des dames adjointes à la commission les firent même déshabiller complètement… ce qui n'empêcha nullement les coups de retentir avec énergie dans la table des séances, tandis que tous les meubles de la salle dansaient la plus invraisemblable sarabande.
Des réponses furent correctement faites par les Esprits à toutes les questions qui leur furent posées même mentalement, et le tout, en pleine lumière d'une séance publique où tout subterfuge était impossible.

Second procès-verbal, second rapport plus favorable encore que le premier. La bonne foi des spiritualistes était reconnue, la réalité des faits constatée et le tout officiellement.

Impossible de décrire l'indignation furieuse de la foule deux fois déçue qui réclama de nouveaux contrôles.
Troisième commission.
Celle-ci fut choisie parmi les hommes les plus incrédules, les railleurs les plus incorruptibles et… le résultat de leurs investigations, plus odieuses et plus outrageantes que jamais pour les pauvres jeunes filles, tourna plus que jamais aussi à la confusion de leurs détracteurs.

C'en était vraiment trop, et les Esprits semblaient avoir perdu tout respect pour la vénérable "foi des aïeux" par trois fois outragée.

Le bruit de l'insuccès de cette suprême enquête ne tarda pas à transpirer dans la ville et fit monter à son comble l'exaspération de tous les "bons esprits" ; quant à la foule, de plus en plus furibonde et convaincue de la connivence des commissions avec les "imposteurs", elle déclara tout net que si le rapport définitif était encore favorable à la cause, elle lyncherait tout simplement les inculpés avec leurs avocats. Les deux jeunes filles, escortées de leurs parents et de quelques amis courageux, ne s'en présentèrent pas moins, malgré leur épouvante, à la redoutable réunion générale.
Pâles, mais résolues, elles prirent place sur l'estrade de la grande salle, bien décidées à périr s'il le fallait, martyres d'une impopulaire mais indiscutable vérité.

La séance commença ;
la foule était houleuse, frémissante, manifestement hostile… Le silence ayant été obtenu à grand'peine, la lecture du rapport fut faite par l'un des membres de la commission, celui-là même qui, lors de l'élection des nouveaux membres, avait déclaré d'un ton péremptoire que « s'il ne parvenait pas à découvrir "le truc", il se précipiterait dans la chute du Genessée », le petit Niagara de l'endroit.
Et quelle fut la conclusion de ce fameux rapport qui devait irrévocablement et d'un seul coup abattre les sept têtes de l'hydre diabolique ? C'est que ses collègues et lui avaient bien réellement entendu les coups caractéristiques mais qu'il leur avait été impossible d'en découvrir la cause.

C'est alors qu'au milieu d'un tumulte épouvantable se dressèrent par centaines les têtes de cette hydre d'une autre nature que celle du monstre mythologique, mais infiniment plus redoutable, bête monstrueuse et féroce qu'on appelle la foule, bête déchaînée dont les passions sont inconscientes dans leur ineptie, aveugles dans leur fureur sauvage.
Et déjà elle escaladait l'estrade toute prête aux pires violences, lorsqu'un quaker nommé George Willets, dont la religion pacifique donnait une autorité particulière aux paroles qu'il prononça, déclara que “la troupe des rufians qui voulaient lyncher les jeunes filles ne le ferait qu'en marchant sur son corps.”
Cette honnête et courageuse intervention fit reculer les misérables brutes, et la foule s'écoula tumultueusement. »

Mais la persécution n'empêcha pas la marche des idées.

Bien sûr, on continua à se gausser des Esprits frappeurs mais par ailleurs un mouvement se faisait. Des écrivains, des magistrats, des philosophes, des ministres du culte commençaient à se pencher avec intérêt sur ces manifestations extraordinaires tandis que des journaux spiritualistes commençaient à paraître, ébranlant l'opinion publique.
Dans le même temps, les moyens de communication avec ce Plan lointain qu'on venait de découvrir s'améliorèrent : après les claquements de doigts et les coups, la table, puis la planchette ou "oui-ja", puis enfin, ces supports dépasses, la main du médium, puisqu'apparut le phénomène de l'écriture automatique qui permit de recevoir de véritables messages.

Un travail de fond commença, et on réussit entre autres choses, à photographier les formes qui apparaissaient.
Les témoignages commencèrent à affluer, auxquels s'ajoutèrent bientôt ceux, autrement importants, d'hommes de science ou de célébrités de l'époque ; entre autres ceux du Juge Edmonds, Chef justice de la Cour suprême du district de New York, président du Sénat, qui finit, après s'être pourtant évertué à dénoncer l'imposture, à se convertir publiquement à la nouvelle doctrine. Il écrivit même à propos des conséquences bénéfiques de cette doctrine :

« Il y a ce qui réconforte celui qui porte le deuil et répare les cœurs brisés ; ce qui adoucit le passage dans la tombe et dérobe à la mort sa terreur ; ce qui éclaire l'athée et ne peut que réformer le vice ; ce qui réjouit et encourage la vertu au milieu de toutes les épreuves et les vicissitudes de la vie ; et ce qui montre à l'homme son devoir et son destin, ne le laissant plus dans le vague et l'incertitude. »

En effet, lorsque les faits spirites commencèrent à attirer l'attention du pays, le Juge Edmonds décida de soumettre ces faits à un examen sérieux. Pendant deux ans, il les étudia avec objectivité et constatant que ces phénomènes nouveaux procédaient d'une intelligence agissante, il multiplia les expériences et arriva à la conclusion que cette "intelligence agissante" résidait hors du plan terrestre, appartenait à un monde insoupçonné et qu'elle était celle d'êtres aimés que l'on croyait à jamais perdus. Ce constat le troubla beaucoup et il fut alors confronté à un sérieux dilemme car deux solutions s'offraient à lui :
     • publier en toute honnêteté le résultat de ses recherches, mais n'était-ce pas s'exposer ce faisant à voir compromettre sa carrière, à être en but aux attaques de ceux qui n'auraient de cesse que d'abattre celui qu'ils avaient placé au poste de premier juge de la Cour suprême de Justice ?
     • se taire et garder secrètes ces vérités, mais comment le faire sans faillir à la probité de sa conscience ? Se taire, n'était-ce pas faire banqueroute à la vérité, et comment, si on le lui demandait, nier les faits que sa conscience reconnaissait comme réels, les nier au prix d'un faux témoignage qui lui ferait faire cause commune avec les ennemis de la vérité ?
Face à sa conscience et à la vérité, en homme d'honneur qu'il était, il décida -bien que conscient des conséquences que cela pouvait entraîner- de porter à la connaissance des masses les résultats de ses études et il publia un livre important qu'il intitula :
"Le Spiritualisme américain".
Compte tenu de la personnalité de l'auteur dont l'intégrité ne pouvait être mise en doute, ce livre bouscula l'opinion publique et on recommença à étudier les phénomènes spirites, relançant, ce faisant, l'affrontement ; il fut combattu par beaucoup et les journaux prirent également parti, soutenant ses détracteurs.

Mais beaucoup se rangèrent à ses conclusions, et en dépit de la conversion de nombreuses autres personnalités de l'époque, la bataille continua, toujours aussi âpre.
Les savants se dressèrent contre les savants, les intellectuels contre les intellectuels, et les choses arrivèrent à un tel paroxysme que la législation de l'Alabama fit, en 1860, un "bill" déclarant « que toute personne qui ferait de publiques manifestations spiritualistes dans l'Etat, serait condamnée à cinq cents dollars d'amende !… »
Cependant, le Gouverneur de l'Etat, jugeant ce "bill" grotesque et non avenu, refusa de le ratifier, et le mouvement spiritualiste se fit de plus en plus vivace dans tous les Etats-Unis. Des sociétés spiritualistes furent organisées, des associations furent créées ; conférenciers et médiums publics se produisirent. La machine n'allait pas arrêter sa course !…

Quel chemin parcouru depuis les événements survenus dans la cave et la chambre à coucher d'Hydesville !
Qui, à cette époque, aurait pu prévoir qu'aux tempêtes déclenchées par les coups frappés allaient succéder les éclats de voix qui allaient porter bien loin un écho venu des profondeurs d'un Au-delà jusque-là inconnu et inaccessible parce qu'insoupçonné, un Au-delà qui allait définitivement devenir triomphant.

 

 

Un présomptueux scepticisme qui rejette les faits sans examiner s'ils sont réels est, à quelques égards, plus blâmable qu'une crédulité irraisonnée.

Humboldt

 

 

 

 

 

Pourquoi les doctrines morales du Christ sont-elles si peu mises en pratique,
et pourquoi ceux qui les glorifient sont-ils les premiers à en enfreindre la règle primordiale qui est la charité universelle ?…

Allan Kardec

 

 

 

 

 

 
Le pourquoi de la vie…