le curé d'Ars…

 

 

Nous le retrouverons au moment où il rencontre le petit berger, Antoine Givre, qui lui a indiqué son chemin. Bientôt, le nouveau curé d'Ars aperçoit le bourg, « quelques chaumières éparses autour d'une pauvre petite chapelle.» Il se met à genoux et, inspiré par Dieu, murmure : « Cette paroisse ne pourra contenir tous ceux qui plus tard y viendront ».
Ils entrent au village ; la première visite est pour l'église ; puis, aidé de la mère Bibost, l'abbé décharge la carriole et fait son entrée au presbytère.
Désormais il sera pour tout le monde le curé d'Ars.
Ars ! C'est alors une petite bourgade, à trente cinq kilomètres au nord de Lyon. Elle compte une soixantaine de familles, la plupart habitant des fermes modestes sur ce terrain situé à la lisière du plateau des Dombes. Pendant la Révolution, l'église avait servie de lieu de réunions révolutionnaires. La foi a baissé dans l'ensemble du pays, même si elle reste bien vivante dans certaines familles : celle du maire Mandy, les Cinier, Lassagne, entre autres ; la châtelaine, Mademoiselle des Garets, connue sous le nom de Mademoiselle d'Ars, donne aussi le bon exemple.
Le curé se met tout de suite à l'œuvre ; il commence par sortir du presbytère les chaises, les fauteuils, le lit à baldaquin et les autres meubles qui s'y trouvent, et les rend à Mademoiselle des Garets qui les avaient donnés pour garnir la maison.
– « Mais que va-t-il vous rester, Monsieur le Curé ?
– « Ne vous inquiétez pas pour moi, j'ai apporté mon mobilier avec moi. »
Et le curé rentre chez lui, heureux de s'être dépouillé de toutes ses richesses.

Le 13 février 1818, il est installé officiellement. Presque tous les paroissiens sont là et observent curieusement leur nouveau pasteur. Il n'a pas grande mine, leur prêtre, avec son allure un peu gauche, sa taille médiocre, sa soutane usée et ses gros souliers ferrés. Mais quand les assistants le voient à l'autel célébrant la messe avec gravité, soignant ses gestes et priant avec tant de ferveur, ils disent entre eux :
– « Nous avons une pauvre paroisse, mais riche de la présence d'un "saint" curé. »

Dès ses premières visites à ses nouveaux paroissiens, l'abbé Vianney découvrit qu'à côté de belles âmes, il y avait, à Ars, bien des gens qui étaient loin de vivre comme Dieu le voulait. La messe du dimanche était désertée par un grand nombre ; d'autres travaillaient le jour du Seigneur ; les jeunes, surtout les jeunes filles, étaient passionnés de danse, de bals, et en perdaient le sens de Dieu ; on buvait beaucoup, on jurait sans cesse ; enfin, on ne voulait pas en savoir trop long afin de n'avoir pas d'effort à faire pour mieux servir Dieu. Le nouveau curé se met avec cœur à son unique tâche : convertir sa paroisse.
Mais comment ? Par la prière…
Alors que le village dort encore, l'abbé Vianney est déjà debout, et du presbytère, passe furtivement à l'église, une lanterne à la main. Il se prosterne devant l'autel, et, pendant des heures, il supplie le Seigneur de prendre en pitié ses paroissiens.
L'après-midi, il se promène à travers champs, bavardant avec les paysans et ne cessant de chanter la gloire de Dieu à travers les beautés de la nature.

A la prière, il ajoute la pénitence. Il donne son matelas aux pauvres ; bientôt le lit y passe aussi, et il prend ses courtes heures de sommeil, tantôt sur un tas de sarments recouverts d'une paillasse, tantôt au grenier, à même le plancher, la tête appuyée à une poutre.
Souvent cette pénitence ne lui suffit pas ; avant de se coucher, il se frappe le corps en souvenir des coups de fouet qui ont déchiré le Corps de Jésus.

Le matin, il se contente d'un bout de pain… quand il n'oublie pas carrément de manger. A midi et le soir, une ou deux pommes de terre froides, parfois une troisième « pour le plaisir », ajoute-t-il ! Et pour ne pas perdre de temps, il en fait cuire pour toute la semaine dans une marmite de fonte que l'on voit encore à Ars. Parfois les pommes de terre sont remplacées par un œuf cuit sous la cendre ou par des galettes de blé noir que dans la région on appelle des « matefaims ».

Un jour, sa sœur Marguerite vient le voir. Pendant que son frère est à l'église, elle lui prépare des matefaims. Il les aimait tellement du temps où il vivait à Dardilly ! Puis elle s'empare de deux pigeonneaux et les fait cuire à la broche.
Quand le curé revient, il voit des pigeonneaux :
– « Les pauvres ! » dit-il sérieusement, « je voulais m'en débarrasser parce qu'ils font du dommage aux voisins, mais il ne fallait pas les faire cuire ! »
Il refuse d 'en manger, et se contente d'une galette.

Tous ces sacrifices extraordinaires, il se les impose pour être plus fort contre les atteintes des démons.
– « J'obtenais du bon Dieu tout ce que je voulais pour moi, comme pour les autres », avouera-t-il à l'un de ses amis.
Il ne s'agit pas de l'imiter en toutes ses pénitences -mortification-, mais combien devons-nous aimer ce prêtre qui a accepté de souffrir, comme le Christ, pour vaincre le péché et sauver les hommes !
– « Le prêtre devrait être comme un autre Christ. »
Comme cela est vrai dans la vie du curé d'Ars.

L'abbé Vianney entreprend l'embellissement de sa petite église. Par quoi commencer ? Par le maître-autel, puisque évidemment, c'est là que se célèbre la messe, centre de la religion. L'ancien maître-autel en bois est remplacé par un neuf, que le curé paie lui même, et qu'il veut le plus beau possible. Le cœur rempli de joie, il aide les ouvriers à le dresser, et fait un voyage à Lyon à pieds pour acheter deux têtes d'ange qu'il fait placer de chaque côté du tabernacle.

Après l'autel, le « ménage du bon Dieu », comme il aime à le dire avec son bon sourire, lui prend tous ses soins… il se rend un jour un Lyon avec Mademoiselle d'Ars et visite les magasins pour acheter un ornement de messe. Mais devant tous ceux qu'on lui présente, il s'écrie :
– « Ce n'est pas assez beau, rien n'est trop beau pour le bon Dieu… »
Si tu vas à Ars, tu verras encore tous les ornements que Monsieur Vianney acheta pour son église et pour les offices.
Un clocher de briques remplace l'ancien en bois tout vermoulu ; une première chapelle est élevée en l'honneur de Notre Dame, le plafond de l'église est refait, une deuxième chapelle est bâtie en l'honneur de saint Jean-Baptiste. C'est dans celle-ci, à gauche de la nef, que se trouve le confessionnal où des milliers de pécheurs viendront s'agenouiller pour retrouver la paix et bien souvent la foi. Peu à peu, c'est toute la petite église qui se transforme, tant est grand l'amour du curé pour la maison du bon Dieu. Mais toutes ses transformations ne vont pas sans de gros problèmes d'argent. Ars était pauvre et n'avait que peu d'habitants ; les chrétiens donnaient tout ce qu'ils pouvaient, la municipalité aussi, mais cela ne suffisait pas. Le curé avait beau abandonner son petit traitement et verser sa part d'héritage, cela n'était pas encore assez. Un jour, il doit verser 500 francs (grosse somme à cette époque) au menuisier. Il n'a pas le premier sou.
Une femme l'aborde dans la rue :
– « Etes-vous le curé d'Ars ?
– Oui, Madame.
– Tenez, voici 600 francs pour vos bonnes œuvres. »
L'abbé Vianney trouve un auxiliaire magnifique en la personne du frère de Mademoiselle d'Ars, le vicomte des Garets. De Paris, celui-ci fait expédié des bannières, des vêtements liturgiques en soie et en drap d'or, des reliquaires, un tabernacle en cuivre doré. Il commande un dais dont le curé ira choisir lui même le tissu à Lyon. Le généreux donateur fait aussi transformer l'entrée de l'église, en remplaçant l'escalier en colimaçon par un perron précédé de deux larges rampes.
Mais Dieu le demandait-il ?
Quand on apportait les caisses que le vicomte des Garets expédiait de Paris, le curé était fou de joie, il riait et pleurait à la fois, appelait tout le monde :
– « Venez voir, disait-t-il, venez voir ses belles choses. »
et quand les paroissiens étaient rassemblés, on ouvrait les caisses.
– « Que c'est beau, s'écriait l'abbé Vianney, mais au Ciel, tout est plus beau encore. »


 
 
le curé d'Ars…
 
Jean-Marie Vianney