le curé d'Ars…

 

 

Mais la Révolution éclate et les prêtres qui veulent rester fidèles à l'Eglise sont obligés de se cacher, sinon, ils sont arrêtés et guillotinés dans les vingt-quatre heures. Défense est faite de leur donner asile. Malgré tous ces dangers, beaucoup de prêtres restent dans la région de Dardilly. Cachés un jour ici, le lendemain ailleurs, ils célèbrent la messe de nuit dans les granges ou dans des pièces retirées des fermes. Des chrétiens sûrs, avertissent du lieu et de l'heure de la prochaine messe. Le soir venu, papa, maman et les enfants Vianney se mettent en route ; ils prennent des chemins de traverse ; bien souvent la marche est longue. Arrivés au lieu de la réunion, le prêtre, vêtu comme les gens du pays, les accueille avec une grande joie. Il commence par confesser ceux qui le désirent, pendant que les autres prient avec ferveur. Puis, il dispose sur une table la pierre d'autel, un missel écorné, un petit calice ; il met rapidement ses ornements, et la messe commence pendant qu'aux alentours des hommes montent la garde.
N'est-ce pas pendant ces messes nocturnes, célébrées en cachette, que, pour la première fois, vient à Jean-Marie l'idée d'être prêtre ? Cependant, la Terreur continue. Les croix des chemins sont abattues et brisées ; les gens doivent cacher leurs crucifix, leurs statues ; mais Jean-Marie garde sa statuette de Notre-Dame, il l'emporte au champ dans une de ses poches. Il a sept ans maintenant et peut rendre de menus services à la ferme, spécialement à la garde du troupeau, composé d'un âne, de vaches et de brebis.

Deux fois par jour, avec sa sœur Marguerite, surnommée « Gothon », il conduit le troupeau au vallon de Chantemerle, arrosé par un ruisseau aux riants rivages, et dont les coteaux sont égayés par les joyeux trilles de nombreux oiseaux. Jean-Marie aime bien ce vallon. En arrivant, sa sœur et lui s'agenouillent, offrent à Dieu leur travail de pastoureaux. Puis ils prennent leurs aiguilles et leur laine à tricoter et confectionnent des bas et des chaussettes, tout en veillant soigneusement sur leurs bêtes.

Jean-Marie raconte à Gothon les événements de l'Histoire sainte et les scènes de la vie de Jésus ; mais bientôt il lui dit :
– « Fais donc mes bas, il faut que j'aille vers le ruisseau pour prier. »
Il place sa statue dans le trou d'un vieux saule à moitié pourri, la décore de mousse et de fleurs, puis, à genoux, il récite son chapelet. Parfois aussi, il construit de petites chapelles, ou modèle la terre glaise pour en faire de rustiques statuettes car c'est un habile bricoleur !

Ou encore sa sœur et lui chantent des bribes de cantiques qu'ils connaissent. Les petites bergères des alentours viennent les rejoindre. Jean-Marie leur apprend les prières que sa mère lui a enseignées, et raconte ce qu'il a entendu dire pendant les messes célébrées dans les granges. Le « catéchisme » fini, on fait une procession. Quel spectacle que ces enfants récitant le chapelet et chantant des cantiques, derrière une pauvre croix faite de deux bois, alors que les églises sont fermées, les processions interdites !

Ils passaient donc tout leur temps à prier, diras-tu ? Que non ! Jean-Marie se retrouve avec la même équipe d'enfants pour jouer, surtout aux palets où il est très adroit. Plus tard, un de ses anciens camarades de jeux racontera :
– « Lorsque nous avions perdu, nous étions ordinairement tristes. Lui, en voyant notre peine, disait :
Eh bien ! il ne fallait pas jouer ! »
Et puis, pour nous consoler, il nous rendait ce qu'il avait gagné. »

En 1795, la chute de Robespierre amène la fin de la Terreur. Un « citoyen Dumas » ouvre une école à Dardilly. Jean-Marie, qui a maintenant près de neuf ans, s'assied pour la première fois de sa vie sur les bancs de la classe ; mais sa grande sœur Catherine lui a déjà appris son alphabet. A l'école, on lui enseigne la lecture, l'écriture, l'histoire, la géographie, le calcul ; il s'applique de tout son cœur, et ses progrès sont si rapides qu'au bout de quelques semaines il peut lire à haute voix les vies de saints aux veillées familiales.
 

Pourtant les églises restent fermées. Mais quatre prêtres sont venus s'installer à Ecully, près de Dardilly. L'un d'eux, Monsieur Balley, est menuisier ; un autre, Monsieur Groboz, cuisinier. De cette façon, ils écartent les soupçons. Un jour, Monsieur Groboz vient chez les Vianney ; il demande à Jean-Marie :
– « Quel âge as-tu ?
– Onze ans.
– T'es-tu confessé ?
– Jamais, » dit l'enfant.
– « Eh bien ! Faisons-le tout de suite », répond le prêtre.
Et là, au pied de l'horloge, il fait une première confession qui émerveille le prêtre.

Monsieur Groboz décide alors les parents à laisser le petit venir à Ecully compléter son instruction religieuse afin de faire sa première communion. En mai 1798, Jean-Marie quitte sa famille et vient habiter à la ferme du « Point-du-Jour », chez une sœur de sa mère. Deux religieuses, dont le couvent avait été détruit, vivaient à Ecully. Ce sont elles qui préparent une quinzaine d'enfants à la première communion. Jean-Marie suit avec une grande ferveur la retraite qui précède le grand jour.

Malheureusement, la persécution a repris. Le Pape Pie VI est prisonnier en France, des centaines de prêtres meurent sur les pontons de Rochefort ou sont déportés en Guyane. La cérémonie de la première communion doit donc se faire en cachette, dans une ferme d'Ecully. Devant les fenêtres, on a placé des charretées de foin, et pendant toute la cérémonie, des hommes travaillent à les décharger.
Comment pourrait-on soupçonner que derrière se tient une assemblée chrétienne digne du temps des catacombes?

Les enfants arrivent, l'un après l'autre, dans leur costume de tous les jours, et sont conduits dans une grande chambre où les mamans mettent le brassard ou le voile qu'elles ont apporté, soigneusement dissimulé sous leur cape. Les volets sont bien clos pour que la lumière des cierges ne soient pas aperçus du dehors.
Jean-Marie fait sa première communion avec beaucoup de foi. Plus tard il dira : « Ô mon Dieu, quelle joie pour un chrétien qui, en se levant de la Table sainte, s'en va avec tout le Ciel dans son cœur. »
 
La cérémonie terminée, la maman reprend le brassard et Jean-Marie, serrant bien fort son chapelet de communiant qu'il montrera cinquante ans plus tard aux enfants d'Ars, revient à Dardilly avec ses parents. Finies les années de son enfance, finies les années d'école. Désormais, il devra se consacrer tout entier aux travaux des champs et à l'entretien de la ferme. D'ailleurs, n'est-il pas fort et bien portant, bien que plutôt petit pour son âge ?



 
 
le curé d'Ars…
 
Jean-Marie Vianney